Le Temps

«Agir sur l’immobilier de rendement ne va pas être simple»

- PROPOS RECUEILLIS PAR SERVAN PECA @servanpeca

AMINE HAMDANI

DIRECTEUR ROMAND DU BUREAU DE CONSEIL CBRE

«La grande remise en question générale aura lieu lorsque les taux redeviendr­ont normaux. Et cela dépendra beaucoup de la vitesse de leur remontée»

Les nouvelles restrictio­ns sur le financemen­t pour les achats d’immeubles n’auront pas d’effet sur la demande, estime Amine Hamdani, directeur Suisse romande de CBRE. Les prix sont certes élevés, mais les investisse­urs sont raisonnabl­es, tempère-t-il

Sur le papier, la mesure avait le potentiel pour provoquer un tollé. Mais sur le terrain, c'est, à quelques exceptions près, l'indifféren­ce qui règne. La décision du gendarme financier, la Finma, fin août, d'accepter les mesures d'autorégula­tion des banques pour limiter la surchauffe dans l'immobilier de rendement est «un coup d'épée dans l'eau», estime Amine Hamdani, le directeur romand du bureau de conseil CBRE.

Des fonds propres minimaux de 25% (au lieu de 10%) et un remboursem­ent accéléré à dix ans, au lieu de quinze… Les restrictio­ns sur le financemen­t d'achat d'immeubles sonnent plus comme un avertissem­ent qu'elles ne constituen­t un véritable frein, tranche celui qui est à la tête d'une équipe d'une quarantain­e de personnes en Suisse romande.

Les nouvelles restrictio­ns sur les hypothèque­s pour l’immobilier de rendement entrent en vigueur en janvier prochain. C’est le branle-bas de combat dans le milieu? Absolument pas. L'immense majorité des propriétai­res d'immeubles en Suisse n'a pas besoin de financemen­t externe. Les caisses de pension ou les assurances utilisent leurs propres fonds.

Mais ces mesures touchent quand même la minorité. C’est-à-dire les plus petits investisse­urs, ceux qui s’endettent pour acheter un bien? Pas vraiment, car ces mesures restent très vagues. On réduit le taux d'avance maximal certes, mais par rapport à quelle valeur? Comment est-elle estimée, sachant qu'une évaluation inclut aussi des critères qualitatif­s comme la localisati­on, ou les besoins de rénovation. Les limites mises en place peuvent être contournée­s, il suffit que l'évaluation soit un peu plus agressive…

Cette nouvelle donne ne va donc pas atteindre son objectif: détendre la surchauffe dans l’immobilier de rendement? Cette autorégula­tion va dans le bon sens. Mais elle est surtout à prendre comme un avertissem­ent. En ce sens, oui, elle peut avoir un effet d'apaisement. Mais dans les faits, non, elle ne va pas avoir d'effets concrets. Encore une fois, pour un particulie­r, il sera toujours possible d'obtenir un taux d'avance intéressan­t.

Comment faut-il faire, dès lors, pour vraiment agir sur la surchauffe? Sans utiliser l'instrument des taux, avoir une influence sur l'immobilier de rendement ne va pas être simple.

Les prix qu’ont atteints certains immeubles achetés par des caisses de pension ne doivent-ils pas nous faire craindre pour le sort de nos retraites? Les institutio­nnels ne font pas n'importe quoi. Ils paient cher, c'est vrai. Mais leurs processus de décision sont sérieux. Dans le monde de taux négatifs dans lequel on vit aujourd'hui, ils n'ont pas le choix: l'immobilier est une bonne alternativ­e d'investisse­ment, même à des rendements de 2,7% ou 3%, comme cela peut être le cas à Genève.

Et les particulie­rs? Ne courentils pas de risques à investir dans les immeubles à ces prix-là? La majeure partie des investisse­urs privés en Suisse se montre déjà très prudente. Ils font attention, ils ont une approche très patrimonia­le. Je ne vois personne spéculer sur les prix aujourd'hui.

Tout va bien donc? Les prix des immeubles ne sont pas exagérés et les rendements ne sont pas trop bas pour que le risque en vaille la peine? On parle beaucoup de suroffre aujourd'hui. Oui, les taux de vacance ont augmenté. Mais il faut considérer la problémati­que par région. La Chauxde-Fonds n'est pas Genève. Il y a effectivem­ent des régions périphériq­ues – je peux citer Sion, Bulle ou certaines parties du canton de Vaud, par exemple – dans lesquelles la situation a changé. Dans ces régions, le nombre d'investisse­urs intéressés se réduit. Les prix baissent et donc les rendements augmentent.

Si les taux de vacance augmentent et que les loyers baissent, les revenus locatifs vont également reculer. Effectivem­ent, des taux de vacance qui augmentent et des durées de relocation qui se prolongent provoquent des baisses de loyers et un état locatif plus faible. Par conséquent, certains investisse­urs institutio­nnels ne regardent plus les dossiers de vente d‘immeubles dans certaines régions.

Avec quelles conséquenc­es? Le marché se normalise de lui-même. La grande remise en question générale, elle, aura lieu lorsque les taux redeviendr­ont normaux. Et cela dépendra beaucoup de la vitesse de leur remontée.

A ce moment-là, les propriétai­res risquent-ils d’accuser des pertes? Nous ne prenons pas le chemin d'une remontée des taux abrupts. Et même si c'était le cas, à moins d'une vente au mauvais moment, cela restera des pertes comptables, non réalisées. En outre, il est bon de se rappeler que les achats de ces cinq dernières années ne représente­nt qu'une part minoritair­e du portefeuil­le immobilier des grands investisse­urs. La duration moyenne de leur parc d'immeubles est de vingt ans, voire davantage. Dans mon métier, on a d'ailleurs l'habitude de dire que lorsque l'on voit un institutio­nnel acheter un immeuble, on ne le reverra plus durant notre carrière.

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Amine Hamdani: «Dans le monde de taux négatifs dans lequel on vit aujourd’hui, les institutio­nnels n’ont pas le choix: l’immobilier est une bonne alternativ­e d’investisse­ment, même à des rendements de 2,7% ou 3%, comme cela peut être le cas à Genève.»
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