Du plastique dans les lacs d’altitude aussi
L’expédition Plastilac rassemble scientifiques et gestionnaires d’espaces naturels pour confirmer la présence de plastique dans les lacs de montagne isolés. Reportage en Haute-Savoie, à 1945 mètres d’altitude
«Le plastique est à la mode. Sa production a explosé ces dernières décennies», se désole Frédéric Gillet. Le scientifique français est à l’origine de la campagne Plastilac, qui vise à explorer 20 lacs alpins situés à plus de 1800 mètres d’altitude, à la recherche de microplastiques. «Les lacs de montagne sont réputés pour être éloignés des sources de pollution, rappelle-t-il. La présence de microplastiques est étudiée dans les océans, les mers et même en eau douce. Mais qu’en est-il des lacs d’altitude isolés?» Pour obtenir une réponse, le rendez-vous est fixé aux aurores en Haute-Savoie, sur un parking du plateau de Plaine-Joux, encore désert. Direction le lac de Pormenaz, situé à 1945 mètres d’altitude.
User de ses bras et de stratagèmes
Frédéric Gillet est un habitué des lieux peu fréquentés, soumis à des conditions climatiques hostiles. Après avoir sillonné le Groenland, ce Savoyard s’est intéressé à sa propre région. «L’organisation de nos recherches est délicate, explique-t-il. Nous nous rendons dans des lieux préservés, où la nature est protégée. Les voitures et les drones sont interdits et les conditions climatiques compliquées. Comme ces sites sont enneigés et glacés plus de huit mois par an, la fenêtre de tir pour prendre nos mesures est assez mince.» Il faut donc obtenir diverses autorisations, concentrer les recherches sur une même période et user de ses bras et de stratagèmes pour transporter les 300 kilos de matériel nécessaire sur place.
Ce vendredi 30 août, les scientifiques de l’opération Lacs sentinelles ont troqué leurs blouses blanches pour des habits de randonneurs. «Nous appliquons le même protocole d’étude sur 20 lacs alpins depuis quatre ans pour approfondir nos connaissances sur leur histoire, analyser leur oxygénation ou leur turbidité, mais c’est la première fois que nous nous concentrons sur les microplastiques», raconte Jean-Baptiste Bosson. Ce Franco-Suisse, coordinateur scientifique du Conservatoire d’espaces naturels de Haute-Savoie, poursuit: «Le projet est assez simple pour pouvoir être mené par les gestionnaires des espaces protégés sur le long terme et observer ainsi l’évolution de ces lieux peu impactés par l’homme, mais très sensibles au changement climatique.»
Un guide est présent pour encadrer l’expédition et lance le top départ en pointant son doigt vers l’horizon: «Nous allons remonter ce sentier et, une fois arrivés au sommet, nous allons légèrement redescendre la montagne. Le lac se trouve juste derrière, dans la réserve naturelle de Passy.» La durée de la marche est de deux heures. Sur le chemin, des câbles et des échelles aident à franchir les imposantes roches moutonnées. Les Aravis, les Fiz et quelques tourbières font office de toile de fond tout au long de l’ascension.
Une embarcation rudimentaire
Soudain, en contrebas, le lac de Pormenaz laisse entrevoir sa forme de donut, soulignée par les landes environnantes. Chacun se dirige vers son poste de travail; la mécanique est rodée. A proximité, deux gardes de la réserve veillent au grain. Frédéric Gillet et David Gateuille, de l’Université SavoieMont-Blanc, se rendent vers l’exutoire du lac, où un filet en mailles de 50 microns en forme de raie manta a été immergé. Pour ne
La présence de microplastiques est étudiée dans les océans, les mers et même en eau douce. Mais qu’en est-il des lacs d’altitude isolés?
pas altérer les résultats, un strict protocole est respecté: porter des vêtements en coton, verser le contenu du filet dans un bocal stérilisé, l’étiqueter, le consigner et rincer le filet.
Une manipulation répétée à l’entrée et au milieu du lac. «Nous pourrons ainsi estimer la quantité de microplastiques qui entre et sort du lac. Les prélèvements effectués sur les kayaks nous permettront d’estimer le stockage dans le lac», précise David Gateuille. Ce dernier concentre ses recherches sur les polluants organiques, des contaminants chimiques. «Les transferts de ces polluants peuvent être associés à ceux des microplastiques, constate-t-il. Certains sont présents dans leur composition et d’autres voyagent de la même manière.»
L’embarcation est rudimentaire: deux kayaks gonflables reliés par deux échelles, auxquelles sont attachés un moteur, une hélice et le filet. «La vitesse de 2 noeuds maximum permet de filtrer jusqu’à 300 m3 d’eau, mais nous sommes limités par l’autonomie de la batterie», pointe Frédéric Gillet. Les scientifiques ne disposent que d’une heure pour réaliser deux prélèvements.
Deux hommes-grenouilles sortent leur tête de l’eau, dont la température est de 6°C. Ils s’intéressent aux sédiments accumulés dans ses profondeurs. «Nous en prélevons 5 cm, ce qui équivaut à une soixantaine d’années de dépôt, détaille Gregory Tourreau, plongeur hydrobiologiste. Nous pouvons ainsi vérifier l’évolution de leur composition et donc la présence de micropolluants potentiellement transportés par voie atmosphérique.»
Une prochaine étape en Valais?
Des campagnes similaires seront prochainement déployées dans les Pyrénées et dans les Vosges. «L’Office fédéral de l’environnement nous a également sollicités pour développer un projet similaire en Suisse», annonce Jean-Baptiste Bosson. Une «belle perspective de recherche» pour Frédéric Gillet, qui aimerait continuer cette inspection dans les lacs valaisans. Le scientifique confie que ses analyses ont déjà confirmé la présence de microplastiques dans les lacs du réseau. Reste à savoir dans quelle proportion, et quelle est leur évolution. Les résultats sont attendus pour le début de l’année prochaine.
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