Le Temps

LA DOULEUR DU RÉCIT D’UN VIOL

- PAR NICOLAS DUFOUR @NicoDufour

Une jeune femme affirme avoir été violentée, puis se rétracte, alors que des faits similaires sont observés par la suite: «Unbelievab­le», une fiction troublante, mais un peu trop classique, sur Netflix

D’un registre à l’autre. Cette année, l’actrice Kaitlyn Dever, 22 ans, aura été vue dans la comédie de lycée

Booksmart, d’Olivia Wilde, produite par Will Ferrell, avec notamment Lisa Kudrow – inédite ici. Et la voici, bouleversa­nte, dans Unbelievab­le, importante série de Netflix en ce moment, qui rentre un peu trop dans le rang en cours de route.

Kaitlyn Dever incarne Marie Adler, jeune fille qui affirme avoir été violée, de nuit, dans sa chambre d’un foyer pour ados à problèmes dans l’Etat de Washington. Marie n’a jamais eu de famille fixe, elle est passée d’une maison à l’autre, et avait trouvé une stabilité dans ce foyer, avec un travail la journée. Ce qui s’est passé, ou non, cette nuit-là change évidemment tout. L’accusation, à l’égard d’un inconnu qu’elle décrit comme masqué, la plonge dans un maelström d’événements et d’émotions, dès les premières minutes, ce matin-là, après le drame allégué.

DOULEURS RÉPÉTÉES

Une affirmatio­n de viol, c’est une brutalité extrême à l’intérieur, mais à l’extérieur, c’est d’abord un récit. Dix fois, 100 fois répété. Unbelievab­le commence de manière puissante, au plus près de Marie, à suivre ses presque incalculab­les répétition­s du récit. D’abord le premier policier sur place, en uniforme. Puis les gradés, en complet. Toujours des hommes; les femmes sur son chemin, elle les verra en étant nue, ce sont les doctoresse­s et spécialist­es de la police scientifiq­ue. Le récit encore, au poste de police. Puis tout reprendre à zéro, parce qu’elle s’est contredite, une fois. Et la machine déjà emballée va encore plus vite, il faut répéter, reformuler, raconter à nouveau.

Marie finit par se rétracter, elle assurera qu’elle a menti. Trois ans plus tard, dans le Colorado, deux policières, Karen Duvall (Merritt Wever) et Grace Rasmussen (Toni Collette), enquêtent sur un cas de viol, chacune de son côté. Karen a croisé Grace il y a longtemps, quand elle était bleue; elle l’admire toujours, la voit comme mentor, ce que l’aînée refusera toujours. Elles finissent par se croiser, avec leurs cas d’attaques nocturnes, et investigue­ront ensemble.

UNE VIE QUI S’ÉCROULE

Unbelievab­le a été créée par la scénariste Susannah Grant (Erin Brockovich) avec son collègue Michael Chabon et l’écrivaine Ayelet Waldman. La mini-série s’appuie sur des articles des sites spécialisé­s ProPublica et The Marshall Project, adaptés en podcast. Elle commence par ce tableau cru et passionnan­t, sur la difficulté de tenir le propos d’une accusation d’agression dans un monde qui ne semble en vouloir. La

Une série qui tient par ses actrices, fortes figures parfaiteme­nt adéquates

fragilité de Marie, qu’incarne parfaiteme­nt la frêle Kaitlyn Dever, frappe d’autant plus dans cette figure d’esquif ballotté au gré des vents, des procédures, des contrainte­s. Sa vie s’écroule, parce qu’elle prétend avoir dit la vérité, puis après, parce qu’elle assure avoir menti. Elle se fait lâcher par tous, hormis deux anciennes mères adoptives.

Au long de l’enquête des deux inspectric­es, la série se fait plus classique. Elle s’oriente vers un thriller sensible, toujours tenu par l’attention des deux femmes à l’égard des victimes, et face à l’horreur des faits. Dès lors, le feuilleton évolue avec une certaine netteté sur ses deux champs parallèles, les recherches de 2011 et la vie désormais en morceaux de Marie. Le spectateur conçoit bien sûr qu’il y aura réunion des divers drames; cependant, la jeune femme continue de prétendre qu’elle a inventé son histoire…

UN COLLAGE DIFFICILE

Les trois auteurs tentent ce collage difficile, la fiction empathique à l’égard de sa victime (présumée) et le cheminemen­t policier presque ordinaire, avec son lot de voies sans issue et de surprises plus ou moins utiles. Ces deux jambes du récit fonctionne­nt à peu près, même si cela boite, et que peu à peu, cette chronique américaine se fait plus banale. Elle a le mérite d’illustrer un fait peu attrayant pour une fiction: les difficulté­s de la traque de l’assaillant dans un grand pays fédéral, où les autorités communique­nt peu et mal entre territoire­s… Et surtout, elle tient par ses actrices, fortes figures parfaiteme­nt adéquates. A commencer par Kaitlyn Dever, inoubliabl­e dans ses balbutieme­nts.

«Unbelievab­le», mini-série de huit épisodes, disponible­s sur Netflix.

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(NETFLIX) La victime d’un viol, dit-elle (Kaitlyn Dever), face aux policiers et leurs demandes 1000 fois réitérées.

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