Le Temps

L’OENOLOGUE QUI MURMURE À L’OREILLE DES VIGNERONS

- PAR PIERRE-EMMANUEL BUSS

Le Vaudois Fabio Penta s’est imposé comme une des références en matière de conseil oenologiqu­e en Suisse. Dans l’ombre, il oeuvre dans plusieurs domaines prestigieu­x

◗ Quand il parle de son métier et de sa passion du vin, Fabio Penta rayonne. Un comble pour un homme de l’ombre qui ne communique pas le nom de ses clients: dans le milieu viticole helvète, on assume difficilem­ent de faire appel à un oenologue-conseil pour améliorer la qualité de ses vins. La situation est très différente dans le Bordelais, par exemple, où le recours à des consultant­s comme Michel Rolland ou Stéphane Derenoncou­rt constitue un argument de vente. Mais c’est un autre monde: les deux hommes jouissent d’une renommée internatio­nale et encaissent des cachets juteux – le premier utilise un chauffeur pour tous ses déplacemen­ts.

Fabio Penta, lui, conduit tout seul pour aller se faire photograph­ier dans le vignoble. Il reçoit ensuite dans sa maison d’Allaman avec une grande simplicité et une bouteille de chasselas de La Côte pour égayer les débats. «J’aime beaucoup ce cépage, mais il ne pardonne rien à la vinificati­on», précise-t-il après avoir vérifié, les narines en éveil, que le vin répondait à ses attentes. Le raisin identitair­e romand lui a permis de marquer un grand coup avec le Domaine de la Ville de Morges, qu’il conseille, remportant en 2015 le Mondial du chasselas avec La Grand’Rue.

QUESTION TABOUE

Le domaine morgien fait partie des très rares encavages qui communique­nt sur leur collaborat­ion avec l’oenologue vaudois. Le domaine Louis Bovard, à Cully, une référence en Lavaux, fait également partie des exceptions. «Cela reste un tabou car la fierté du vigneron de dire

«Je fais tout tout seul, de la vigne à la cave» est encore très présente, estime son propriétai­re, Louis-Philippe Bovard.

Mais ce n’est pas donné à tout le monde, ce sont deux métiers différents, sans parler de la vente.»

Fabio Penta est tombé dans le monde du vin un peu par hasard. Adolescent, il a commencé par gagner de l’argent de poche au sein de la maison Hammel, à Rolle, où son père, un immigré italien, était chauffeur-livreur. Le début d’une collaborat­ion qui durera près de trente ans: à la fin de sa scolarité obligatoir­e, il rejoint l’entreprise où il enchaîne CFC de caviste, brevet et maîtrise fédérale, prenant de plus en plus de responsabi­lités. En 2005, son patron, Charles Rolaz, lui confie la responsabi­lité de vinifier les vins haut de gamme et les vins de domaine.

En 2013, l’oenologue ressent le besoin de vivre un nouveau défi. Il rejoint OEnologie à façon, société de conseil dont il est aujourd’hui un des partenaire­s. «Je m’occupe directemen­t de 36 domaines répartis entre Genève, Vaud, le Valais et le Tessin, précise-t-il. Du coup, je suis toujours en route. Mais j’ai de la chance: quand j’arrive chez mes clients, ils sont très heureux de me voir. J’adore mon métier, je n’en changerais pour rien au monde.»

Si Fabio Penta est particuliè­rement demandé pour le conseil oenologiqu­e, il ne fait pas que cela. «Une partie importante de notre activité est de réaliser les mises en bouteille chez les vignerons. Le conseil, les analyses de laboratoir­e et la dégustatio­n représente­nt un autre axe, avec des demandes qui varient selon les clients. Certains me donnent carte blanche. D’autres souhaitent disposer d’un suivi régulier.»

C’est le cas de Louis-Philippe Bovard, qui a usé plusieurs oenologues avant de décider d’externalis­er la prestation. «Je veux être entouré de gens qui sont meilleurs que moi, souligne l’alerte octogénair­e. Je travaille depuis longtemps avec un oenologue-conseil français. Ensemble, on a défini une «ligne Bovard». Fabio vient en appoint pour suivre l’évolution des vins. C’est un passionné éclairé et un ami de longue date. Nous avons une relation d’égal à égal, pas de patron à employé. C’est important. Quand vous confiez les rênes de votre entreprise à quelqu’un, l’alchimie entre les hommes est essentiell­e.»

APPROCHE CARTÉSIENN­E

Au-delà de ses compétence­s techniques, Fabio Penta sait écouter pour s’adapter aux besoins de ses clients. «C’est une nécessité. Mon mandat est de faire le meilleur vin possible avec le raisin qu’on nous amène. Je ne donne aucun conseil viticole, par exemple. C’est facile: je ne connais rien ou presque à la viticultur­e.»

Le spécialist­e des vinificati­ons défend une approche cartésienn­e de son métier. Il a du mal avec le discours à la mode sur les vins «nature», qui laisse penser que le vin se fait tout seul en laissant le raisin fermenter. «Cela me fait sourire. Quand on ne fait rien pour accompagne­r le vin, on n’arrive à rien. Cela nécessite un savoirfair­e qui ne s’improvise pas.» Son credo? Prendre du plaisir, sans se laisser enfermer dans une chapelle. «Il y a quinze jours, j’étais en vacances à Naples avec mon amie, qui est aussi oenologue. Dans un restaurant, le sommelier nous a demandé si nous voulions du vin bio ou du vin «nature»… On lui a répondu qu’on souhaitait quelque chose de bon. C’est tout ce qui compte.» Amoureux de l’Italie et de ses vins, Fabio Penta lorgne l’étranger. «Si un mandat se présente, je prends. Ces dernières années, j’ai développé mon activité au Tessin. Cela prend du temps: je mets cinq heures et demie pour descendre à Bellinzone. Cela m’oblige à déléguer. Certains clients font un peu la gueule quand ce n’est pas moi qui viens, mais c’est ainsi.» La rançon du succès.

«Je ne donne aucun conseil viticole.Je ne connais rien ou presque à la viticultur­e»

FABIO PENTA, OENOLOGUE

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(VALENTIN FLAURAUD POUR LE TEMPS) Fabio Penta répond à l’appel de vignerons suisses qui veulent améliorer la qualité de leurs crus. Mais qui préfèrent aussi que ce ne soit pas trop dit.

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