Sagan jusqu’au bout
Depuis le début de l’été, la rumeur avait enflé et le milieu éditorial parisien vivait dans l’attente. En juillet, Le Monde divulguait la cause de tant de fièvre: un livre, dont l’auteur et l’éditeur étaient tenus cachés, avait été tiré à 250000 exemplaires et paraîtrait en septembre. Serait-ce Ma Vérité de Brigitte Macron? Ou Maux d’amour de Laeticia Hallyday?
Macron, un territoire du possible par Michel Houellebecq? Après des semaines à jouer aux devinettes, le fameux livre est paru mercredi: intitulé
Les Quatre Coins du coeur et présenté par les Editions Plon comme un roman inédit et inachevé de Françoise Sagan, décédée en 2004.
Quelle est l’histoire de ce texte, pourquoi ne paraît-il qu’aujourd’hui et surtout que vaut-il? Le fils de l’autrice de
Bonjour tristesse, Denis Westhoff, qui s’occupe de la succession de sa mère depuis 2007 (et à qui incombe, selon
L’Obs, de payer la lourde dette de sa mère au fisc français), explique dans sa préface que le manuscrit se présentait en deux parties dactylographiées et photocopiées tant de fois que certaines lettres en étaient devenues difficilement lisibles. On apprend aussi qu’il souffrait de telles incohérences, avec des mots et des passages entiers qui manquaient, que l’idée de confier sa réécriture à un écrivain avait été abandonnée. Enfin, on comprend que les photocopies difficilement lisibles étaient en fait des versions d’un scénario de téléfilm inspiré du roman mais jamais réalisé.
Après cette présentation, Denis Westhoff raconte être arrivé à la conclusion suivante: «Plusieurs voix me laissaient entendre que j’étais le seul à pouvoir réécrire ce livre, et que ce roman devait nécessairement être publié, quel que fût son état, parce qu’il apportait une pièce certes imparfaite dans l’oeuvre, néanmoins essentielle.»
Lire Les Quatre Coins du coeur est une expérience étrange où l’on passe de la joie au malaise et puis à la tristesse. En deux mots, le roman raconte l’amour entre un fils de famille diminué par un accident de voiture et sa belle-mère. Il y a de l’émotion à retrouver la voix de Françoise Sagan, ce talent cinglant pour l’aphorisme qui fait mouche, pour croquer en deux phrases une allure, une attitude, pour faire entendre les non-dits et mettre à nu la férocité des jeux sociaux. Mais ensuite, à d’autres moments, à la façon d’un toboggan vertigineux, on sent les phrases se dérober sous nos yeux, comme aplaties. Le décalage est tel entre la patte de Sagan et ces passages-là que l’on comprend être en présence d’un puzzle où se glissent des pans du fameux scénario de téléfilm et que le tout a été «cousu», çà et là, par des phrases du fils.
La tristesse vient du fait que le talent de Françoise Sagan est tel qu’il brille même au milieu de ce drôle de patchwork. Mais que l’ensemble ne rend pas hommage à l’écrivaine.