SORTILÈGES DES MOTS ET DES DESSINS
Par la grâce d’une typographie recherchée ou de mots censurés, deux albums disent qu’il n’existe pas une seule vérité, et que partout, à tout moment, les glissements de sens guettent
On dirait qu’une méchante fée s’en est mêlée, et qu’elle a jeté son lot de sorts sur le héros de cet album! A chaque double page, le lecteur de La Face
cachée du prince charmant passe du clair au sombre, du fantasme à… la dure réalité. Comment? Par la magie du caviardage: une même phrase est reprise, mais certains mots ou syllabes ont été rendus illisibles par le noir qui les recouvre. Ainsi «Le prince charmant n’est pas un peureux. C’est un dur dans son manoir» devient: «Le prince charmant a peur du noir.» On apprendra aussi qu’il est sale, vulgaire, mal élevé et fainéant – entre autres.
Il n’est pas étonnant de découvrir Guillaume Guéraud aux manettes, auteur acide, subversif, et préférant la confusion à l’ordre! Avant censure, son texte est dithyrambique mais ampoulé, habilement construit dans un français qui se veut châtié mais se révèle boiteux, suggère déjà les failles, les artifices. Il a trouvé en Henri Meunier le parfait complice de cette entreprise de déconstruction des clichés. Les images passent elles aussi du clair au sombre, de l’héroïque au minable, du serein à l’éclaté.
En fin d’album, le roi est nu et le lecteur réalise que le ver était en quelque sorte dans le fruit, dans la tendre chair des mots.
BLEU COBALT ET VERT FLUO
Le procédé développé ici est aussi génial que difficile à expliquer: grâce à une police de caractères inventée par le collectif ALIS, Amimots, bel ouvrage cartonné imprimé en deux tons directs (bleu cobalt et vert fluo), «ouvre» les mots et les images, les métamorphose dans un mouvement d’un parallélisme épatant.
S’il est courant, dans les livres pour jeunes enfants, de soulever un rabat pour dévoiler une scène cachée, c’est bien la première fois (à notre connaissance), que cette action fait naître un tout nouveau mot et sa tout aussi nouvelle représentation! Comme si, dès l’origine, l’un contenait l’autre. Comme s’il était évident que dans tout hareng sommeille un fantôme, dans tout paon un ogre, et que pour transformer un ouistiti en sorcière, il n’y a qu’un geste à faire.
Ainsi mots et images seraient manipulables, malléables, ainsi le hasard (apparent, mais en réalité savant) dicterait des parentés et des correspondances? Une belle occasion de philosopher… et de s’émerveiller.