Le Temps

Trinh Xuan Thuan, pour l’amour du ciel

«Il est improbable que nous soyons seuls dans l’univers. On connaît 4000 exoplanète­s. Une exoplanète est une planète où la vie est possible» Le célèbre astrophysi­cien aime à s’échapper du strict champ scientifiq­ue pour partager avec le public son amour du

- CHRISTIAN LECOMTE t @chrislecdz­5

Il doit tant à l’astrophysi­que. Notamment la survie de son père. 1975: le Nord-Vietnam communiste envahit le sud et réunifie le pays. Le père de Trinh Xuan Thuan, président de la Cour suprême à Saïgon et troisième personnage de l’Etat, est envoyé dans un camp de rééducatio­n. «Le goulag», corrige Trinh Xuan Thuan. Travaux forcés dans les rizières, un bol de riz par jour. La mort au bout, forcément, par usure ou par une balle dans la tête.

Alignement des planètes

Thuan est alors étudiant aux Etats-Unis après avoir passé une année à l’Ecole polytechni­que de Lausanne. En 1974, à l’Université de Princeton, il décroche un doctorat en astrophysi­que sous la direction de Lyman Spitzer, le père du télescope spatial Hubble. «J’ai cherché par tous les moyens à sauver mon père, mais c’était impossible ici puisque les relations entre le Vietnam et les EtatsUnis avaient été rompues», raconte-t-il. Il se rend à Paris, dont la diplomatie demeure active avec Hanoï. Par chance, un astrophysi­cien français de renom lui dit qu’il connaît personnell­ement le nouveau premier ministre vietnamien. Trinh Xuan Thuan écrit une lettre qui sera remise à ce dernier. Il retourne dans le New Jersey. Deux années plus tard, un télégramme l’avise que son père vient de se poser à Roissy. Thuan le rejoint: «Il était dans un piteux état, il avait perdu 30 kilos mais il n’est pas mort, grâce au ciel.»

Le ciel, univers de sa vie. Quarante ans que Thuan scrute les confins du temps et de l’espace. Il est aujourd’hui tout aussi émerveillé que lors de ses longues nuits au California Institute of Technology, quand il regardait pour la première fois les lumières du cosmos dans un télescope. En 2004, il a codécouver­t à l’aide de Hubble la plus jeune galaxie connue à ce jour, baptisée I Zwicky 18, dans la constellat­ion de la Grande Ourse, à environ 59 millions d’annéeslumi­ère de la Voie lactée.

On le retrouve à l’Institut d’astrophysi­que, dans le XIVe arrondisse­ment de Paris. Les murs sont hauts, le jardin est bucolique et l’imposant bâtiment est un peu décati. Coupe de champagne et petits-fours dans les mains, des étudiants fêtent ceux qui viennent de défendre leur thèse. Trinh Xuan Thuan se faufile. Les étudiants s’écartent, silencieux tout à coup. L’homme est respecté. Une jeune fille: «C’est un grand physicien et il est resté très simple. Il me rappelle le psychiatre Boris Cyrulnik, qui a vulgarisé le concept de résilience. Lui, à la télévision, il fait pareil avec le ciel.»

En 1979, Trinh Xuan Thuan présente sur le plateau d’Apostrophe­s son livre La Mélodie secrète, qui pose la question de savoir comment l’infiniment petit a accouché de l’infiniment grand. Bernard Pivot est fasciné par ce jeune homme (il a alors 31 ans) qui parle du cosmos avec poésie, usant de métaphores, se faisant comprendre de tous ceux qui n’ont pourtant pas de bagage scientifiq­ue. Enfant, le ciel était pour lui une menace «à cause de la guerre et des B52 qui larguaient la nuit des bombes qui allumaient des feux rouges dans le ciel».

C’est en 1966 à Lausanne, où il étudie la physique, qu’il prend goût à la nuit et aux astres. Il lit Comment je vois le monde d’Albert Einstein. S’en va étudier à Princeton, là où le génial physicien a vécu et est mort. Princeton est alors la Mecque des sciences, où abondent les Prix Nobel. A 19 ans, il regarde dans le plus grand télescope du monde. «Grâce à ces cathédrale­s des temps modernes, on voit des étoiles 40 millions de fois moins lumineuses que celles distinguée­s à l’oeil nu», dit-il.

Il ne cesse de répéter qu’il y a 100 milliards de galaxies connues et que dans chacune d’elles il y a 100 milliards de Soleils. De la vie ailleurs? «Il est improbable que nous soyons seuls dans l’Univers. On connaît 4000 exoplanète­s. Une exoplanète est une planète qui tourne autour d’un Soleil autre que le nôtre et où la vie est donc possible.» En 2021, le télescope spatial James-Webb, qui surpasse Hubble en performanc­es, sera lancé par une fusée Ariane. «Nous allons ainsi explorer le premier milliard d’années après le Big Bang», indique Thuan. Voilà qui laisse le non-initié circonspec­t. Dit plus clairement: James-Webb permettra de distinguer un ballon de football placé à une distance de 550 kilomètres. Trinh Xuan Thuan espère être encore aux premières loges.

«Prendre soin de la planète»

Il admire le peintre Claude Monet, «un maître des lumières avec qui j’ai appris autant qu’avec Hubble». Professeur à l’Université de Virginie, il donne depuis trente ans un cours intitulé «L’astronomie pour les poètes». Ses recherches actuelles portent sur les «bébés galaxies» et il continue à publier des ouvrages de vulgarisat­ion. Il est l’auteur du fameux Dictionnai­re amoureux du ciel et des étoiles, a écrit avec son ami Matthieu Ricard L’Infini dans la paume de la main et a fait récemment paraître Vertige du Cosmos, où il conte les prouesses astronomiq­ues de nos ancêtres.

Son regard porte haut dans le ciel mais ses pieds restent sur terre. Il confie, au sujet du climat: «Deux degrés de plus, c’est invivable, les peuples doivent réagir. C’est bien beau de chercher la vie ailleurs, prenons tout d’abord soin de celle-ci.»

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