Le Temps

Plutôt que pardonner à son agresseur, lui demander pardon pour se libérer

- MARIE-PIERRE GENECAND Les prochains Cercles de pardon en Suisse romande:

Créés en France par Olivier Clerc, en 2012, les Cercles de pardon ne cessent de se multiplier en Europe et ailleurs. C’est que ce rituel, court et simple, est «une vraie douche du coeur», assure Tania Lehmann, animatrice à Genève La vidéo émeut et pas qu’un peu. Sur ce document du Guardian datant du 3 octobre dernier, on voit un homme faire un hug à la meurtrière de son frère. La scène se déroule à la fin du procès qui a condamné cette ex-officière de police américaine à dix ans de prison pour avoir abattu Botham Jean, un homme de couleur, alors qu’il était chez lui, couché sur son lit, désarmé. Avant le hug très émouvant, Brandt Jean, le frère de la victime, tient ces propos généreux à la policière: «Je t’aime comme n’importe qui d’autre. Je ne vais pas dire que j’espère que tu vas mourir et pourrir comme mon frère. Je veux le meilleur pour toi.» Un bel exemple de pardon. Ou, comme l’a dit le procureur du comté de Dallas, «un incroyable acte de guérison».

La guérison des blessures du coeur, c’est exactement ce que proposent les Cercles de pardon lancés en France par Olivier Clerc en 2012 et qui se multiplien­t depuis en Europe et ailleurs. Aujourd’hui, 200 rituels laïques, dont 15 en Suisse, offrent régulièrem­ent à leurs participan­ts l’opportunit­é d’un immense allègement. Tania Lehmann, animatrice genevoise d’un de ces Cercles, nous parle de la puissance de ces «douches du coeur».

Ne plus dépendre des autres

Un paradoxe, cependant, qui se distingue du cas évoqué en entrée. Dans ces Cercles de pardon, les participan­ts n’apprennent pas à pardonner à ceux ou celles qui les ont blessés. Au contraire, ce sont eux qui demandent pardon à l’objet de leur ressentime­nt. Oui. Plutôt que de se poser en justiciers attendant une réparation, les adeptes adoptent une attitude d’humilité, demandent véritablem­ent pardon à leur agresseur et c’est cet acte d’abnégation qui produit chez eux une libération.

Car, désormais, ces personnes ne font plus «dépendre leur état intérieur de ce que quelqu’un d’autre pense, ressent, dit et fait», explique Olivier Clerc. Ce soulagemen­t est tellement puissant qu’il agit aussi sur le corps. «Je ne compte plus le nombre de participan­ts qui ont vu leur santé, notamment cardio-vasculaire, s’améliorer», assure le fondateur de ces cercles laïques, Genevois expatrié en France. Lui-même a vécu l’expérience au Mexique, auprès de Don Miguel Ruiz, auteur des célèbres Quatre Accords toltèques, avant d’en témoigner dans Le Don du pardon, en 2009.

Démarche transperso­nnelle

Dans ce livre, l’écrivain et traducteur raconte justement comment s’est déroulé le rituel qui sert de modèle aux cérémonies organisées dans 15 pays, désormais. Tania Lehmann, diététicie­nne et thérapeute genevoise formée comme animatrice des Cercles de pardon, évoque le rituel calqué sur l’expérience première d’Olivier Clerc. «Après une introducti­on théorique et pratique, les participan­ts composent deux cercles pour se retrouver face à face et se demander pardon à tour de rôle. C’est tout. Il n’y a ni révélation personnell­e, ni récit ou débat.

Cette demande n’est pas adressée à la personne en tant que telle, mais à son extension, explique l’animatrice. Par exemple, si le vis-à-vis est une femme, elle peut représente­r une soeur, une mère, une collègue de travail, etc., ou même une sorte d’archétype de la femme universell­e. «C’est ce qu’on appelle une démarche transperso­nnelle», précise Tania Lehmann. Pour autant, ce vis-à-vis n’est pas un pur écran de projection­s, puisque, «de part et d’autre, les émotions sont très fortes. Pour la personne qui formule la demande, comme pour celle qui la reçoit.»

Et la saine colère alors?

Ensuite, le rituel, qui dure environ deux heures, comprend d’autres phases où les adeptes ferment les yeux et travaillen­t en solitaire. Ils demandent notamment pardon à leurs boucs émissaires. Les boucs émissaires? «Ce sont tous les groupes qui nous révoltent au quotidien», précise l’animatrice. «Il peut s’agir des pédophiles, des propriétai­res de Monsanto, des constructe­urs de 4x4, des politicien­s, des traders, etc. Toutes ces entités à qui on attribue la mauvaise santé du monde. On leur demande également pardon, car, à leur égard, nous nourrisson­s un ressasseme­nt qui conduit au ressentime­nt.»

On touche là un point crucial de cette pratique. Pour Tania Lehmann, il faut distinguer la colère, qui est une émotion saine et pousse à l’action, du ressentime­nt, qui est une rancune figée et enferme sa proie dans une amertume sans horizon. «Les Cercles de pardon permettent d’évacuer ce qui empêche d’avancer», assure la spécialist­e. Lors des deux phases ultimes, les participan­ts sont appelés à demander pardon à «une entité plus grande qu’eux, Dieu ou une force supérieure», et enfin, à se demander pardon à eux-mêmes.

Cette question, tout de même: pourquoi les Cercles de pardon n’enseignent-ils pas à pardonner plutôt qu’à demander pardon? «Car accorder son pardon place le sujet dans la toute-puissance pesante alors que demander pardon l’amène à une humilité qui allège. On ne sait pas exactement comment, mais on constate que quand on demande pardon, une lumière arrive sur nous, comme un grand nettoyage qui soulage.»

D’ailleurs, poursuit Tania Lehmann, ce n’est pas parce que le rituel est simple et humble qu’il n’est pas puissant. Souvent les situations conflictue­lles s’apaisent autour de la personne qui a demandé pardon. «En même temps, ce n’est pas une baguette magique, il ne faut pas espérer que tout se résolve comme par enchanteme­nt.» Dès lors, il est bon de reconduire le rituel collectif plusieurs fois par année. Et on peut, chaque jour, accomplir le rituel individuel en prenant des «douches de pardon». C’est-à-dire demander pardon aux personnes qui surgissent dans notre esprit avant de s’endormir, de sorte à ce que le processus s’approfondi­sse pendant le sommeil.

Mais, à force de demander pardon, ne se met-on pas à accepter tout et n’importe quoi? Demander pardon à la personne qui a violé sa fille, par exemple, relève plus de l’humiliatio­n que de l’humilité, non? «Le rituel n’enlève pas la combativit­é. Bien sûr qu’il faut réclamer que justice soit faite et se battre pour, répond Tania Lehmann. Mais, en parallèle, pour ne pas étouffer sous le poids de la tristesse ou de la rancoeur, demander pardon à son tortionnai­re procure une vraie paix intérieure, guérit des blessures du coeur.» «D’ailleurs, conclut l’animatrice qui, elle-même, pratique régulièrem­ent le rituel, si les Cercles de pardon sont devenus si viraux et qu’on les trouve aussi bien en Europe qu’au Maroc, au Liban, au Sénégal et au Brésil, c’est parce qu’ils sont courts, simples et puissants. Qui pourrait refuser de se libérer de ses fardeaux?»

«Accorder son pardon place le sujet dans la toutepuiss­ance pesante alors que demander pardon l’amène à une humilité qui allège»

TANIA LEHMANN, THÉRAPEUTE

le 25 octobre à Palézieux; le 30 octobre et le 11 décembre à Genève.

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(TOM FOX/POOL VIA REUTERS) Le hug de Brandt Jean à la meurtrière de son frère, un pardon qui peut inspirer.

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