Pour une réglementation plus stricte du lobbying au parlement
Le lobbying est sur toutes les lèvres, surtout en Suisse alémanique. A l'approche du scrutin du 20 octobre, de plus en plus de médias s'y sont intéressés. Fin août, la Wochenzeitung révélait qu'Opération Libero finançait des candidats à condition que ceux-ci adhèrent aux idées défendues par le mouvement. En septembre, la NZZ am Sonntag consacrait sa une et trois pages entières aux liens d'intérêt des parlementaires fédéraux. Début octobre, la Republik dédiait une série de cinq articles à la question.
Le lobbying désigne toute tentative d'influencer les décisions des autorités. Au niveau fédéral, de tels efforts visent le législateur, mais aussi l'exécutif. Ils peuvent être le fait de groupes d'intérêt ainsi que d'acteurs étatiques, comme les cantons et les villes. La science politique distingue entre l'inside lobbying, qui vise les décideurs eux-mêmes, et l'outside lobbying, qui fait pression sur ces mêmes autorités à travers les médias et l'opinion publique.
Le débat autour du lobbying a été ravivé il y a quelques mois déjà, à la suite de la publication, en février, d'un rapport détaillé de l'organisation non gouvernementale Transparency International sur le sujet. Les risques du lobbying sont devenus particulièrement saillants en 2015: un scandale avait alors éclaboussé la parlementaire Christa Markwalder, dont une interpellation avait été rédigée par une lobbyiste, elle-même mandatée par un politicien kazakh. Malgré les vagues suscitées par cette affaire, la législature qui s'achève n'aura rien entrepris pour sanctionner ou réglementer ces pratiques.
A l'heure actuelle, c'est surtout du lobbying sous la coupole fédérale qu'il est question. Pourquoi? Tout d'abord parce que c'est l'angle choisi par l'initiative parlementaire déposée par le socialiste Didier Berberat en 2015. Celle-ci propose d'améliorer la transparence du lobbying au Palais fédéral, une transparence qui, vu le manque de réglementation, laisse à désirer. Après maintes tergiversations, le Conseil des Etats a donné suite à cette proposition (en lui apportant toutefois d'importantes modifications), avant que le Conseil national ne refuse d'entrer en matière sur le projet des sénateurs. A noter en passant que lors des débats, la conseillère nationale Ruth Humbel, connue pour collectionner les mandats de conseils d'administration et de fondation dans le domaine de la santé, a noté sans ironie qu'une telle réglementation serait «un placebo». La balle a été renvoyée à la Chambre des Etats, qui a réitéré sa volonté de maintenir le projet. Ensuite, l'emballement médiatique est bien sûr aussi lié à des questions d'agenda: à l'heure où nous nous rendons aux urnes pour élire nos représentant(e)s à Berne, les liens d'intérêt de ces derniers, ainsi que le financement de leurs campagnes suscitent la curiosité.
Ce qui frappe, c'est que les critiques à l'encontre du lobbying fusent de tous les coins de l'échiquier politique. En septembre dernier, dans la fameuse émission télévisée Arena, Roger Köppel accusait ses concurrents d'être des «chasseurs de mandats» et d'avoir vendu leur âme aux lobbies. Quelques jours plus tard, la Weltwoche, dont Köppel est le rédacteur en chef, consacrait tout un dossier à la problématique. A gauche, Cédric Wermuth, candidat au Conseil des Etats, a publié un rapport sur le lobbying où il dénonce la cupidité des parlementaires. Au PLR, Andrea Caroni s'engage depuis longtemps pour plus de réglementation. En 2018, le PDC Jean-René Fournier déposait une initiative visant à interdire les financements étrangers de récoltes de signatures et de campagnes de votation.
Certes, le lobbying joue un rôle essentiel dans notre démocratie: il fournit des informations précieuses à nos représentants et permet aux différents groupes et intérêts d'être entendus. Toutefois, sans encadrement juridique, le lobbying peut mettre en danger les libertés et droits fondamentaux ainsi que les principes démocratiques – un risque qui vaut tant pour le lobbying parlementaire que pour le lobbying de l'exécutif.
Il est aujourd'hui temps que le lobbying soit reconnu comme une question touchant à la sphère du droit, et non comme un no man's land juridique ou comme une conséquence inévitable de notre système de milice. Tout progrès dans ce domaine exige cependant que le nouveau parlement fédéral accepte de limiter ses propres pouvoirs; ou que la société civile, en exerçant une pression grandissante, pousse les élu(e)s à agir, enfin.
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Sans encadrement juridique, le lobbying peut mettre en danger les libertés et droits fondamentaux