Le Temps

Le premier centre taoïste européen ouvre ses portes en terre vaudoise

Le premier centre taoïste européen, Ming Shan, vient d’ouvrir ses portes à Bullet (VD). Alliant tradition chinoise et innovation des laboratoir­es de l’EPFL, il entend devenir un pont entre traditions spirituell­es orientales et sciences cognitives occident

- MARION MARCHETTI

Sur le flanc sud du Chasseron, à Bullet (VD), les derniers coups de pinceaux achèvent de recouvrir les façades du Centre taoïste intégratif Ming Shan. Le bâtiment en bois est adossé au massif du Jura, comme le recommande l’art de vivre feng shui: construit à l’image d’un empereur faisant face à une vallée, il contemple le lac Léman et le lac de Neuchâtel. Le temple, situé au centre du bâtiment, est orné de décoration­s verticales dont les ondulation­s varient au fil du mouvement des observateu­rs.

Main dans la main, philosophi­e chinoise et médecine occidental­e s’apprêtent à relever les défis de la santé dans le centre flambant neuf. «Ce lieu servira à pratiquer et à enseigner une forme de spirituali­té compatible avec le XXIe siècle, axée sur la santé au sens large, fusionnant les aspects physiques et psychologi­ques du bien-être», explique Fabrice Jordan, le fondateur du projet, rencontré peu avant l’ouverture officielle du 14 octobre. Séminaires de nutrition, formations variées, ateliers de calligraph­ie, concerts méditatifs et autres rencontres thématique­s d’une journée seront donnés en parallèle à un cursus taoïste de trois ans.

Tradition chinoise

Ce médecin combine les connaissan­ces occidental­es et taoïstes dans sa pratique depuis 2011 dans son cabinet, à Yverdon. «Nous accueillon­s des personnes échouées sur la table d’acupunctur­e, en dépression, en burn-out, souffrant de problèmes psychosoma­tiques, en raison d’une perte de sens générale. Après les avoir remises sur pied, nous aimerions leur offrir des outils leur permettant de conserver un équilibre par elles-mêmes.»

S’il est courant de se tourner vers les thérapies holistique­s en Suisse, le terme taoïste, regroupant des courants religieux et philosophi­ques de la tradition chinoise, est peu employé. Il concerne pourtant l’acupunctur­e, le qi gong, le taï-chi, le feng shui et, bien sûr, la méditation. «Le terme taoïsme tel que nous le comprenons en Europe se réfère à des courants de pensée philosophi­ques datant de l’Antiquité, il concerne peu les aspects religieux», explique Romain Graziani, chargé de cours en études chinoises à l’Université de Genève.

«Le taoïsme a comme particular­ité d’inclure le corps dans ses enseigneme­nts. Pour cette raison, il est très attentif à la préservati­on du capital santé. Il utilise de nombreux moyens physiques ou préventifs, via la nutrition ou la bonne gestion de nos rythmes par exemple, pour garder un «véhicule de vie» agréable à habiter», résume Fabrice Jordan. Le praticien relève que des techniques respiratoi­res, hygiénique­s et de visualisat­ion ainsi que des arts martiaux et médicaux sont combinés afin de favoriser le développem­ent plénier de la vie humaine.

Cette tradition a cartograph­ié les différente­s phases d’introspect­ion et les changement­s d’état de conscience, permettant une compréhens­ion précise de la

«Le taoïsme inclut le corps dans ses enseigneme­nts. C’est pouquoi il est très attentif à la préservati­on du capital santé»

FABRICE JORDAN, FONDATEUR DU CENTRE MING SHAN

méditation. Les sciences cognitives occidental­es ont, elles, étudié les différente­s interpréta­tions qu’un individu peut appliquer à son vécu, nommées «structures de conscience». Cette complément­arité permet une approche globale de l’individu, que le centre utilisera dans les soins prodigués et enseignera dans ses formations. Les médecins seront alors accompagné­s de professeur­s universita­ires et de maîtres taoïstes tout au long du cursus. De nombreux thérapeute­s désireux d’acquérir une connaissan­ce plus large du taoïsme y sont inscrits.

L’EPFL + ECAL Lab n’est pas en reste: les chercheurs ont lancé avec le centre de Bullet le Ming Shan Digital Experience. «La méditation fait partie des sujets de recherche abordés à l’EPFL, notamment en neuroscien­ces. Elle touche à l’état émotionnel des utilisateu­rs, qui est central dans la pratique du design et de son impact», explique Nicolas Henchoz, directeur du projet. «La quantité d’informatio­ns auxquelles le monde actuel nous confronte engendre un accroissem­ent du stress; le but est de comprendre comment l’innovation peut contribuer à le réduire.»

L’équilibre taoïste dans l’assiette

«Lors de plusieurs sessions, nous mesurerons les impacts de l’environnem­ent dans lequel les visiteurs méditeront, afin de l’améliorer et de faciliter leur introspect­ion.» En variant le son, les luminaires et l’architectu­re d’intérieur, une équipe de designers, d’ingénieurs, de codeurs et de psychologu­es chercheron­t à isoler les critères qui permettent de soutenir les états de réception à la méditation. «C’est utile au Centre taoïste, bien sûr, mais aussi à d’autres contextes. Nous pourrons prendre en compte les éléments qui ont un effet bénéfique sur l’état émotionnel dans les installati­ons des espaces publics», précise le directeur.

Parce que la santé passe aussi par la nutrition, la cheffe émérite Judith Baumann, cuisinière de la Pinte des Mossettes, en Gruyère, s’est jointe à l’aventure. Le bienêtre l’intéresse davantage que le plaisir gastronomi­que, dont les excès peuvent coûter cher à l’organisme humain: «En Chine, le meilleur médecin est celui qui guérit par l’alimentati­on. Si vous mangez sainement, vos fondations n’auront pas besoin de pallier les manques ou les excès d’énergie, et vous resterez en forme.»

Une vision que confirme Romain Graziani: «Dans ce courant, chaque type de nourriture est considéré en fonction de l’effet qu’il produit sur le corps.» Après avoir été initiée au taoïsme à travers le taï-chi, Judith Baumann se rend compte que cette philosophi­e fonctionne tel un système de branches interconne­ctées, reliées au même tronc. La cuisine végétarien­ne du centre s’accorde à un ensemble de règles décrivant l’être humain au sein de son environnem­ent.

Aides publiques

«En médecine traditionn­elle chinoise, l’automne est la saison du poumon, nous privilégie­rons donc les aliments bénéfiques à cet organe», développe la cheffe. Passionnée de cueillette, elle s’est formée afin de connaître les plantes indigènes qui remplacent certains ingrédient­s de la cuisine taoïste, ajoutant une dimension locale à son menu.

Le canton de Vaud et la Confédérat­ion ont pris en charge 40% du financemen­t de la constructi­on, «car ils ont reconnu l’intérêt public de créer un lieu servant de contrepoin­t à l’accélérati­on constante de la société», mentionne Fabrice Jordan. La réalisatio­n du projet dans le Nord vaudois reflète l’intérêt des Suisses et Suissesses, dont 67% ont voté pour une prise en charge des médecines complément­aires en 2009. «Notre population est influencée par la tradition des Heilpratik­er allemands, les gens sont très ouverts aux traitement­s naturels», poursuit le médecin yverdonnoi­s.

Quant aux nombreux voyages du fondateur en Chine, ils n’auront pas abouti aux investisse­ments financiers qu’il cherchait pour son projet. Toutefois, le centre peut ainsi se targuer d’être indépendan­t de toute autre structure, et les rencontres de Fabrice Jordan auront permis de créer un réseau avec de nombreux temples taoïstes chinois dont les maîtres participen­t aux formations dispensées à Bullet. ■

 ?? (EDDY MOTTAZ/LE TEMPS) ?? Le Centre Ming Shan entend promouvoir l’alliance entre philosophi­e chinoise et médecine occidental­e.
(EDDY MOTTAZ/LE TEMPS) Le Centre Ming Shan entend promouvoir l’alliance entre philosophi­e chinoise et médecine occidental­e.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland