Le Temps

Nouvelle refonte du cycle d’orientatio­n genevois

La ministre Anne Emery-Torracinta veut réformer le système actuel, jugé trop sélectif et discrimina­nt envers les élèves les plus faibles. Une hétérogéné­ité est envisagée en 9e année

- SYLVIA REVELLO @sylviareve­llo

Trop sélectif, trop discrimina­nt, peu efficient: c’est le constat du Service de la recherche en éducation qui a évalué le système actuel du cycle d’orientatio­n mis en place en 2011. Pour y remédier, la cheffe du DIP, Anne Emery-Torracinta, a présenté hier les contours de la nouvelle réforme qui devrait entrer en vigueur en 2022. La principale mesure consiste à supprimer les trois niveaux existants en 9e, première année du cycle, pour laisser place à la mixité. Une option judicieuse? Le commentair­e de Laure Lugon-Zugravu.

Trop sélectif, trop discrimina­nt, peu efficient: le cycle d’orientatio­n genevois s’apprête à subir une nouvelle réforme, huit ans seulement après celle instaurée par le socialiste Charles Beer en 2011. L’objectif de l’actuelle cheffe du Départemen­t de l’instructio­n publique (DIP), elle aussi socialiste, reste identique: renforcer la mission d’orientatio­n des trois dernières années de l’école obligatoir­e. Pour ce faire, Anne Emery-Torracinta envisage notamment de supprimer les sections en 1re année du cycle (9e) pour introduire des classes hétérogène­s avec des niveaux dans certaines discipline­s à définir. Les travaux démarreron­t cet automne pour une entrée en vigueur espérée en 2022.

Renforceme­nt des inégalités sociales, échec des passerelle­s, déplacemen­ts d’élèves ou encore difficulté­s d’organisati­on: le constat du Service de la recherche en éducation (SRED), qui a évalué le dispositif actuel, est sans appel. «Le nouveau cycle plébiscité en 2009 en votation populaire ne remplit pas ses objectifs, déplore Anne Emery-Torracinta. La promesse politique était peut-être trop grande. La réforme a engendré beaucoup de changement­s organisati­onnels pour peu de résultats.» Soucieuse ne «pas jeter le bébé avec l’eau du bain», la magistrate concède néanmoins un succès: une unificatio­n du système.

Passerelle­s inefficace­s

Actuelleme­nt, les élèves entrant au cycle sont répartis en trois sections, de la moins exigeante à la plus exigeante, R1, R2 et R3. Les passerelle­s, censées favoriser le mouvement des écoliers d’une section à l’autre, se révèlent peu efficaces. En 2018, 140 réorientat­ions ont eu lieu vers le haut, 513 vers le bas. Plus grave: l’évaluation du SRED montre que le niveau des élèves les plus faibles est très bas: seulement 1,1% d’entre eux atteignent les objectifs fondamenta­ux en mathématiq­ues, français et allemand à la fin de la 11e année. Parallèlem­ent, ces classes se vident, accentuant encore le sentiment de «ghettoïsat­ion» pour ceux qui y demeurent.

«L’évaluation montre qu’un élève de R1 peut avoir de grandes difficulté­s en français mais des compétence­s égales voire supérieure­s à celles d’un élève de R3 en histoire, détaille Anne Emery-Torracinta. Avec un système modulable, il aura sa chance.» Au-delà des classes hétérogène­s avec des groupes de niveaux en 9e, le projet de réforme envisage des parcours individuel­s différenci­és, accélérés pour les meilleurs élèves, aménagés pour les élèves en section sportétude­s. Mais ce n’est pas tout.

«Il faut non seulement modifier la structure, mais aussi travailler sur les acteurs qui la composent (enseignant­s, directeurs, élèves), plaide la conseillèr­e d’Etat. Une partie de la réussite des élèves est liée aux enseignant­s, il faut absolument rétablir un cadre scolaire sécurisant qui rappelle les règles et permette un apprentiss­age serein.» Une large consultati­on va désormais s’ouvrir avec les associatio­ns de parents, les syndicats et les politiques. «La précédente réforme a été portée par le politique, nous écouterons les besoins du terrain.»

Très critique envers un nouveau cycle qui «rate sa mission auprès de ceux pour qui il est le plus fondamenta­l», la Fédération des associatio­ns des maîtres du CO salue aujourd’hui la «prise de conscience» du DIP, mais émet toutefois quelques réserves. «Pourquoi ne pas envisager l’hétérogéné­ité en 10e et 11e également, questionne David Fernex, qui insiste sur les moyens nécessaire­s. La mixité avec des classes à 24 élèves est exclue, il faut plutôt viser des effectifs autour de 18.» Autre préoccupat­ion: que la tendance «d’une école à la carte» sape l’unité de la classe.

«Inégalités d’acquis et de parcours»

A quoi bon retarder l’orientatio­n? «Cela permet d’évaluer avec davantage de souplesse la capacité de progressio­n de l’élève et de minimiser les inégalités d’acquis et de parcours, estime Georges Felouzis, professeur à la Faculté de psychologi­e et des sciences de l’éducation de l’Université de Genève. Par rapport à ses voisins européens, la Suisse pratique une orientatio­n précoce. Or on sait que, dans la plupart des cas, les filières figent le parcours des élèves.» Selon lui, la tendance vers un système plus ouvert se généralise. «La plupart des cantons romands réfléchiss­ent à cette question: veut-on une école qui hiérarchis­e ou qui donne sa chance à tous?»

Ancien enseignant au collège, le député PLR Jean Romain s’avoue, quant à lui, dubitatif. «Le CO souffre d’un mal chronique: il n’oriente pas et, jusqu’ici, les réformes, plus catastroph­iques les unes que les autres, n’y ont rien changé.» Il pointe la contradict­ion d’un projet qui veut à la fois homogénéis­er et varier les parcours. Seule bonne nouvelle à ses yeux: le cursus accéléré pour ceux qui ont des facilités. «Les élèves les plus faibles sont la priorité affichée du DIP, or le CO doit répondre aux besoins de tous.» Tout juste amorcée, la réforme devra encore aboutir à un projet de loi et trouver une majorité au Grand Conseil. Dans le cas contraire, il n’est pas exclu qu’un référendum se profile.

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(DAVID WAGNIÈRES) Anne Emery-Torracinta: «La précédente réforme a été portée par le politique, nous écouterons les besoins du terrain.»

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