Le Temps

Cet accord Suisse-UE dont personne ne veut parler

- MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaum­e CONSEILLER NATIONAL (PS/VD) ROGER NORDMANN

Sauf l’UDC, qui le diabolise, les partis n’ont pas dit un mot de l’accord institutio­nnel avec l’UE durant la campagne. On n’en reparlera pas avant le printemps prochain

C'était la feuille de route imaginée par l'associatio­n faîtière Economiesu­isse en juin dernier: clarificat­ion avec l'UE des trois points encore litigieux de l'accord institutio­nnel d'ici à fin octobre, puis approbatio­n par le Conseil fédéral d'ici à la fin de cette année. Il n'en sera rien. Entre la Suisse et l'UE, plus rien n'a bougé depuis l'échange épistolair­e de juin 2019 entre le président de la Confédérat­ion, Ueli Maurer, et le président sortant de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. Et lors de la campagne électorale qui s'achève, le thème a été soigneusem­ent occulté par tous les partis, sauf l'UDC. Sur l'échelle des préoccupat­ions des gens, il a même baissé de 15 points en six mois!

«Nous regrettons de ne pas avoir avancé sur ce dossier qui est absolument prioritair­e pour la place économique suisse», déclare Cristina Gaggini, la responsabl­e romande d'Economiesu­isse. Lors de ses divers grands débats, la RTS a bien sûr abordé le sujet, mais en fin d'émission le plus souvent. Infrarouge n'y a plus consacré d'émission spécifique depuis le 5 juin dernier. «Il est difficile de forcer l'agenda politique et de faire des débats qui sont hors actualité», note son producteur, Alexis Favre, chroniqueu­r au Temps.

«Nous sommes toujours pour une intégratio­n plus forte avec l’UE. Mais l’accord-cadre, c’est de l’horlogerie fine»

La feuille de route de Karin Keller-Sutter

En fait, l'accord-cadre tétanise tous les partis, sauf l'UDC. Celle-ci s'y oppose faroucheme­nt en le qualifiant de «traité de soumission», mais elle n'a pas réussi à en faire un thème prioritair­e de la campagne. «Nos adversaire­s avancent masqués. Je suis sûr qu'après les élections, ils finiront par se rallier à cet accord», relève le vice-président du groupe, Michaël Buffat (UDC/VD).

Même si le dossier est toujours porté par le chef des Affaires étrangères, Ignazio Cassis, les autres partis ont fini par adopter la feuille de route de sa collègue du Conseil fédéral Karin Keller-Sutter. La ministre de Justice et police veut d'abord que la population se prononce sur l'initiative de l'UDC voulant résilier l'accord avec l'UE sur la libre circulatio­n des personnes. Comme elle considère que son approbatio­n équivaudra­it à un «Brexit suisse», elle veut d'abord évacuer cet obstacle de l'agenda politique.

Sur les sites internet des partis, les Vert'libéraux sont les seuls à afficher la couleur. «Oui par conviction à l'accord institutio­nnel», clament-ils. «Les principaux objectifs des négociatio­ns ont été atteints et la Suisse conserve sa souveraine­té dans les processus législatif­s nationaux», ajoutent-ils. Le PLR, l'autre parti prêt à ratifier l'accord-cadre, n'assume pas vraiment cette position. Dans sa «vision libérale», il définit sept objectifs, mais ne mentionne même pas les relations avec l'UE, y compris dans le chapitre des conditions-cadres de l'économie. «Je regrette qu'on ne parle que de climat dans cette campagne. De toute façon, si on veut lutter contre le réchauffem­ent de la planète, il faudra le faire avec l'UE, d'où la nécessité d'un accord-cadre», confie Laurent Wehrli (PLR/VD).

Un accord qui reste nécessaire

On le sait, la plupart des partis qui tiennent à la poursuite de la voie bilatérale ont émis des réserves quant à cet accord. Le PDC en cite trois qui sont importante­s, au point de rendre sa politique européenne illisible. Dans sa campagne personnali­sée sur Google, il attaque aussi bien des partisans de l'accord que ses détracteur­s! Il compte pourtant dans ses rangs des personnali­tés plus franches de collier, comme Elisabeth Schneider-Schneiter (BL), présidente de la Chambre de commerce des deux Bâles. Celle-ci ne cache pas son soutien à cet accord et le thématise dans sa campagne. «Dans notre région, 50% des PME vivent des exportatio­ns et Novartis ne fait que 2% de son chiffre d'affaires en Suisse», argumente-t-elle.

A gauche, les Verts soulignent la nécessité d'une «étroite coopératio­n avec l'UE par un accord-cadre équitable», mais ils le conditionn­ent à un renforceme­nt de la protection des salaires suisses. Dans sa politique européenne, le PS réaffirme que, à long terme, «l'adhésion à l'UE permettra à la Suisse de disposer enfin d'un véritable droit de codécision», mais il n'en parle que peu dans sa campagne, axée surtout sur les coûts de la santé, le climat, l'égalité et la formation continue. Son chef de groupe, Roger Nordmann, nie que son parti traverse une période d'euroscepti­cisme lorsqu'il avoue sur son site que «le PS n'est pas toujours d'accord avec le cap politique actuelleme­nt tenu par l'UE». «Nous sommes toujours pour une intégratio­n plus forte avec l'UE», précise Roger Nordmann. «Mais l'accord-cadre, c'est de l'horlogerie fine, et pour résoudre les problèmes qui subsistent, il est plus prudent d'écarter d'abord la menace du gros marteau de l'UDC qui veut résilier l'accord sur la libre circulatio­n des personnes», ajoute-t-il.

Pas de renégociat­ions pour Bruxelles

Du côté de Bruxelles, on a compris que les Suisses ne signeraien­t rien cette année. L'eurodéputé allemand Andreas Schwab, désormais chef de la délégation parlementa­ire chargée du dossier suisse, ne veut pas s'immiscer dans les affaires intérieure­s helvétique­s. Mais il tient à le souligner: «L'approfondi­ssement des relations est dans l'intérêt des deux parties.» Puis il rappelle qu'il ne croit pas à des renégociat­ions. «Le texte de l'accord est définitif. Il faut donc maintenant décider et l'appliquer.»

Ce ne sera pas encore demain. Peut-être en été prochain au plus tôt. Dans l'immédiat, la Suisse et l'UE continuero­nt à se bouder. «L'inconvénie­nt, c'est qu'en Suisse un langage nationalis­te, voire europhobe commence à s'imposer, non seulement à l'UDC, mais aussi chez certains syndicalis­tes», regrette le coprésiden­t du Nouveau Mouvement européen suisse (Nomes), François Cherix. Le débat reviendra lorsque la Suisse se sentira marginalis­ée. «Mais alors l'accord sera mort et il ne restera plus que l'alternativ­e entre l'adhésion à l'UE ou l'isolement.»

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