Cet accord Suisse-UE dont personne ne veut parler
Sauf l’UDC, qui le diabolise, les partis n’ont pas dit un mot de l’accord institutionnel avec l’UE durant la campagne. On n’en reparlera pas avant le printemps prochain
C'était la feuille de route imaginée par l'association faîtière Economiesuisse en juin dernier: clarification avec l'UE des trois points encore litigieux de l'accord institutionnel d'ici à fin octobre, puis approbation par le Conseil fédéral d'ici à la fin de cette année. Il n'en sera rien. Entre la Suisse et l'UE, plus rien n'a bougé depuis l'échange épistolaire de juin 2019 entre le président de la Confédération, Ueli Maurer, et le président sortant de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. Et lors de la campagne électorale qui s'achève, le thème a été soigneusement occulté par tous les partis, sauf l'UDC. Sur l'échelle des préoccupations des gens, il a même baissé de 15 points en six mois!
«Nous regrettons de ne pas avoir avancé sur ce dossier qui est absolument prioritaire pour la place économique suisse», déclare Cristina Gaggini, la responsable romande d'Economiesuisse. Lors de ses divers grands débats, la RTS a bien sûr abordé le sujet, mais en fin d'émission le plus souvent. Infrarouge n'y a plus consacré d'émission spécifique depuis le 5 juin dernier. «Il est difficile de forcer l'agenda politique et de faire des débats qui sont hors actualité», note son producteur, Alexis Favre, chroniqueur au Temps.
«Nous sommes toujours pour une intégration plus forte avec l’UE. Mais l’accord-cadre, c’est de l’horlogerie fine»
La feuille de route de Karin Keller-Sutter
En fait, l'accord-cadre tétanise tous les partis, sauf l'UDC. Celle-ci s'y oppose farouchement en le qualifiant de «traité de soumission», mais elle n'a pas réussi à en faire un thème prioritaire de la campagne. «Nos adversaires avancent masqués. Je suis sûr qu'après les élections, ils finiront par se rallier à cet accord», relève le vice-président du groupe, Michaël Buffat (UDC/VD).
Même si le dossier est toujours porté par le chef des Affaires étrangères, Ignazio Cassis, les autres partis ont fini par adopter la feuille de route de sa collègue du Conseil fédéral Karin Keller-Sutter. La ministre de Justice et police veut d'abord que la population se prononce sur l'initiative de l'UDC voulant résilier l'accord avec l'UE sur la libre circulation des personnes. Comme elle considère que son approbation équivaudrait à un «Brexit suisse», elle veut d'abord évacuer cet obstacle de l'agenda politique.
Sur les sites internet des partis, les Vert'libéraux sont les seuls à afficher la couleur. «Oui par conviction à l'accord institutionnel», clament-ils. «Les principaux objectifs des négociations ont été atteints et la Suisse conserve sa souveraineté dans les processus législatifs nationaux», ajoutent-ils. Le PLR, l'autre parti prêt à ratifier l'accord-cadre, n'assume pas vraiment cette position. Dans sa «vision libérale», il définit sept objectifs, mais ne mentionne même pas les relations avec l'UE, y compris dans le chapitre des conditions-cadres de l'économie. «Je regrette qu'on ne parle que de climat dans cette campagne. De toute façon, si on veut lutter contre le réchauffement de la planète, il faudra le faire avec l'UE, d'où la nécessité d'un accord-cadre», confie Laurent Wehrli (PLR/VD).
Un accord qui reste nécessaire
On le sait, la plupart des partis qui tiennent à la poursuite de la voie bilatérale ont émis des réserves quant à cet accord. Le PDC en cite trois qui sont importantes, au point de rendre sa politique européenne illisible. Dans sa campagne personnalisée sur Google, il attaque aussi bien des partisans de l'accord que ses détracteurs! Il compte pourtant dans ses rangs des personnalités plus franches de collier, comme Elisabeth Schneider-Schneiter (BL), présidente de la Chambre de commerce des deux Bâles. Celle-ci ne cache pas son soutien à cet accord et le thématise dans sa campagne. «Dans notre région, 50% des PME vivent des exportations et Novartis ne fait que 2% de son chiffre d'affaires en Suisse», argumente-t-elle.
A gauche, les Verts soulignent la nécessité d'une «étroite coopération avec l'UE par un accord-cadre équitable», mais ils le conditionnent à un renforcement de la protection des salaires suisses. Dans sa politique européenne, le PS réaffirme que, à long terme, «l'adhésion à l'UE permettra à la Suisse de disposer enfin d'un véritable droit de codécision», mais il n'en parle que peu dans sa campagne, axée surtout sur les coûts de la santé, le climat, l'égalité et la formation continue. Son chef de groupe, Roger Nordmann, nie que son parti traverse une période d'euroscepticisme lorsqu'il avoue sur son site que «le PS n'est pas toujours d'accord avec le cap politique actuellement tenu par l'UE». «Nous sommes toujours pour une intégration plus forte avec l'UE», précise Roger Nordmann. «Mais l'accord-cadre, c'est de l'horlogerie fine, et pour résoudre les problèmes qui subsistent, il est plus prudent d'écarter d'abord la menace du gros marteau de l'UDC qui veut résilier l'accord sur la libre circulation des personnes», ajoute-t-il.
Pas de renégociations pour Bruxelles
Du côté de Bruxelles, on a compris que les Suisses ne signeraient rien cette année. L'eurodéputé allemand Andreas Schwab, désormais chef de la délégation parlementaire chargée du dossier suisse, ne veut pas s'immiscer dans les affaires intérieures helvétiques. Mais il tient à le souligner: «L'approfondissement des relations est dans l'intérêt des deux parties.» Puis il rappelle qu'il ne croit pas à des renégociations. «Le texte de l'accord est définitif. Il faut donc maintenant décider et l'appliquer.»
Ce ne sera pas encore demain. Peut-être en été prochain au plus tôt. Dans l'immédiat, la Suisse et l'UE continueront à se bouder. «L'inconvénient, c'est qu'en Suisse un langage nationaliste, voire europhobe commence à s'imposer, non seulement à l'UDC, mais aussi chez certains syndicalistes», regrette le coprésident du Nouveau Mouvement européen suisse (Nomes), François Cherix. Le débat reviendra lorsque la Suisse se sentira marginalisée. «Mais alors l'accord sera mort et il ne restera plus que l'alternative entre l'adhésion à l'UE ou l'isolement.»
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