La guerre des tarifs douaniers entre Washington et Pékin
La 12e édition de la World Policy Conference, que préside Thierry de Montbrial et qui vient de se terminer à Marrakech, s’est penchée sur la situation de la Chine.
La rivalité entre les géants américain et chinois structure de plus en plus les relations internationales. Allons-nous vers un monde de nouveau binaire, comme au temps de la guerre froide? La tendance demeure à l'affrontement en dépit de signes de détente partielle ou provisoire. Est-il encore possible de l'enrayer? L'Europe peut-elle encore échapper au sort que lui prédit l'ancien premier ministre italien Enrico Letta en cas de désunion persistante: devenir dans dix ans soit une colonie chinoise soit une colonie américaine?
Pour ce qui est de la Chine, Xi Jinping, le président chinois, cherche à consolider l’emprise du Parti communiste dans la sphère politique, économique, militaire et technologique et à pérenniser son pouvoir personnel.
Kevin Rudd, l'ancien premier ministre australien qui est un fin connaisseur de ce pays, souligne que le dirigeant actuel ne croit pas en l'efficacité du marché: le parti doit l'encadrer. Il privilégie les entreprises d'Etat et se méfie du secteur privé, qui finirait par gagner trop d'influence politique. Ce modèle économique rompt avec la ligne suivie depuis Deng Xiaoping et les investisseurs privés hésitent à agir dans un contexte moins favorable que naguère. Ce serait l'une des causes du ralentissement de l'économie, que la guerre commerciale avec les Etats-Unis a encore aggravé.
Le taux de croissance de 6% affiché par Pékin, nécessaire pour assurer le bien-être minimum de la population et éviter des troubles sociaux, serait tombé en réalité à 3%.
Ce serait la source de difficultés politiques pour le maître de la Chine. Mais cette dernière assoit sa puissance économique avec sa politique de voisinage (maintien de la paix à ses frontières, coopération avec son voisin russe, accès à l'Asie centrale et aux régions qui participent au projet de Routes de la soie), soit jusqu'à l'Afrique, l'Europe et l'Amérique latine. L'Armée populaire de libération se modernise: d'où l'expansion de la Marine, la base navale de Djibouti et l'émergence d'îlots fortifiés en mer de Chine. L'Empire du Milieu est à la pointe de la technologie, plus avancé que les Etats-Unis dans l'infrastructure des télécommunications et la 5G, les appareils de surveillance ou l'internet des objets, confirme l'ancien chef du MI6 britannique John Sawers. Il cherche à s'affranchir de sa dépendance dans le secteur des semi-conducteurs américains, prélude à un découplage dans les domaines les plus sensibles de l'économie et de la technologie.
Pour Kevin Rudd, le problème de Hongkong n’est pas aussi central qu’il en a l’air.
Le territoire administratif spécial n'est pas un Etat. La région du sud de la Chine connaît un développement économique qui relativise de plus en plus l'importance de Hongkong. En 2047, quand Hongkong perdra son statut spécial, elle pourrait avoir le même poids économique que Macau aujourd'hui… Kevin Rudd s'emploie personnellement à arrêter l'escalade de la guerre des tarifs douaniers entre Washington et Pékin. Il a rédigé avec deux autres anciens premiers ministres, Helen Clark et Carl Bildt, un appel, cosigné par d'autres anciens chefs de gouvernement dont Enrico Letta et François Fillon et publié par le New York Times. Forts de l'expérience qu'ils ont acquise lors de négociations menées avec les deux parties, ces hommes et femme d'Etat demandent instamment de mettre fin à ce conflit commercial qui pourrait provoquer une récession mondiale et dégénérer en une nouvelle guerre froide. Ils rappellent les avantages que la Chine a tirés de ses échanges commerciaux avec le reste du monde tout en reconnaissant les difficultés de traiter avec Pékin. Ils estiment que l'OMC est, malgré ses limitations, le cadre adéquat pour les surmonter et revenir à la liberté des échanges, clé de la prospérité mondiale.