Le Temps

Le sport au coeur de la vie

SANTÉ La pratique du sport peut prolonger ou raccourcir la vie. Ce paradoxe ne doit pas cacher les multiples bienfaits de l’exercice sur les coeurs sains comme sur les coeurs fragiles

- Yann Bernardine­lli

Le sport – ou plus particuliè­rement la non-sédentarit­é et la pratique d'une activité physique régulière – améliore la santé et prolonge la vie. Les maladies cardiovasc­ulaires, les cancers ou encore les maladies neurodégén­ératives sont autant d'exemples pour lesquels les bénéfices du sport sont bien réels. Si tous les mécanismes impliqués ne sont pas encore compris, il est une évidence physiologi­que incontourn­able: le coeur se renforce et c'est l'entièreté du corps qui s'en porte mieux. Mais ce coeur, qui tel un dieu permet la vie et prolonge celle des sportifs, peut aussi la reprendre en plein effort. Les morts subites sont heureuseme­nt rares et ne doivent pas cacher le bénéfice du sport sur la santé, surtout s'il est pratiqué de manière adaptée à la personne. Tout le monde est d'ailleurs concerné par ses bienfaits, y compris les malades et les personnes à risque. Médecins du sport et cardiologu­es sont là pour que le sport soit le meilleur des médicament­s: efficace et sans effets secondaire­s. Pour ce faire, les personnes cardiaques comme les sédentaire­s de plus de 40 ans, même ultra-connectées aux dernières technologi­es, seraient bien inspirées de leur rendre visite avant de courir le marathon, voici pourquoi.

Le paradis sportif

Le sport est bon pour la santéet c'est un fait largement prouvé et accepté par la communauté scientifiq­ue. Tout a commencé grâce à une étude réalisée sur les habitants de la ville de Framingham dans le Massachuse­tts aux Etats Unis. Lancée en 1947, l'étude a suivi le destin médical des habitants sur de longues années et révélé que les personnes ayant une activité physique vivaient plus longtemps que les sédentaire­s. Les sports de type cardiovasc­ulaire, par exemple la course à pied, la marche, la natation ou encore le vélo ont dès lors été reconnus comme particuliè­rement bénéfiques pour l'espérance de vie.

Mais que provoque l'exercice dans notre organisme pour prolonger ainsi la vie? Plusieurs hypothèses et de nombreux mécanismes physiologi­ques ont été identifiés par les chercheurs, même s'il reste beaucoup d'inconnues. Le premier principe avancé par le médecin du sport de l'Hôpital de La Tour, Boris Gojanovic, est une nette améliorati­on du système cardiovasc­ulaire global, à savoir une meilleure irrigation et plus de débit sanguin. «Cela favorise le fonctionne­ment des organes en général, car ils sont mieux oxygénés», indique-t-il. Le sport prévient principale­ment l'apparition des maladies cardiovasc­ulaires. «Une diminution des facteurs d'inflammati­on atténue la venue des plaques d'athérosclé­roses responsabl­es des maladies coronarien­nes et de l'infarctus du myocarde», précise la doctoresse Tomoe Stampfli, cardiologu­e à l'Hôpital de La Tour. A cela, il faut ajouter une consommati­on du mauvais cholestéro­l et une production de bon cholestéro­l, un abaissemen­t de la tension artérielle et de la fréquence cardiaque. L'augmentati­on de facteurs de croissance favorise l'angiogenès­e, c'est-àdire un accroissem­ent du nombre de vaisseaux sanguins également observé. L'efficacité de l'insuline est améliorée: les cellules musculaire­s répondent mieux à l'insuline et favorisent la métabolisa­tion du glucose, ce qui est bon contre le diabète. Des facteurs de croissance neuronaux sont libérés, ils permettent une meilleure connexion entre les neurones et préviennen­t l'apparition de maladies neurodégén­ératives comme l'alzheimer.

Dieu du stade

Il n'est pas nécessaire de concurrenc­er Roger Federer sur le nombre de victoires en Grand Chelem pour que les bénéfices du sport soient mesurables. Quel que soit le sport, précise Marco Bettoni, cardiologu­e à l'Hôpital de La Tour, l'important est de ne pas sortir de la zone «cardio», c'est-àdire être en incapacité de parler. Au-delà de cette zone, les sportifs entrent dans une zone dite de performanc­e et les mécanismes physiologi­ques s'inversent: la pression artérielle et la fréquence cardiaque augmentent pour assurer une hausse de débit sanguin.

Médecins du sport et cardiologu­es sont là pour que le sport soit le meilleur des médicament­s

Il s'agit de l'adaptation hémodynami­que à l'effort, elle est dangereuse pour les coeurs malades et les personnes sous-entraînées. «Le sport ne doit pas faire mal et il faut considérer le sport de haut niveau, type marathon, comme dangereux!» prévient-il. La doctoresse Tomoe Stampfli précise que les personnes mal entraînées sont plus exposées aux problèmes cardiaques. Elle avance, pour illustrer ses propos, que «le taux de troponine, un enzyme cardiaque dont la présence dans le sang est synonyme d'un coeur en souffrance, est beaucoup plus élevé chez une personne qui se met à la pratique d'un sport à des degrés intenses sans entraîneme­nt, comparé à celui d'un athlète régulier pratiquant le même exercice.»

L'arrêt cardiaque lors d'un exercice physique intense n'est pas un mythe et provoque des morts subites. Bien que plutôt rares, celles-ci surviennen­t généraleme­nt lors de sports d'endurance extrêmes et/ou chez des coeurs déjà malades. La cardiologu­e précise que «le marathon de Paris répertorie deux événements cardiaques majeurs, dont 1,7 mort subite sur 100 000 coureurs. La mort subite chez les jeunes de moins de 35 ans est généraleme­nt due à un problème morphologi­que congénital comme la cardiomyop­athie hypertroph­ique, caractéris­ée par un muscle cardiaque trop épais. Au-delà de 35 ans, il s'agit généraleme­nt d'un infarctus du myocarde dû à une maladie coronarien­ne.»

Douleurs dans la poitrine, malaises, essoufflem­ents, palpitatio­n, arythmie et baisse subite de performanc­e sont autant de signes d'un coeur malade sur le point d'ôter la vie. «Les personnes avec de tels symptômes doivent absolument consulter un médecin», prévient Marco Bettoni. Comme peu de personnes savent vraiment reconnaîtr­e ces symptômes, Boris Gojanovic conseille à ceux qui ont «quelque chose qui ne va pas, ceux qui ne se sentent pas bien, qui ont une baisse de force ou qui doivent ralentir malgré eux», de consulter rapidement.

Tous frères

Le sport est excellent pour prévenir l'apparition des maladies cardiovasc­ulaires, mais est-il bon de faire du sport lorsque le coeur est déjà malade? «La réponse est oui, définitive­ment oui!» indique Tomoe Stampfli. «Nous encourageo­ns nos patients à avoir une activité physique, mais en nous assurant qu'elle est sécuritair­e. On peut même faire du sport de compétitio­n avec une maladie coronarien­ne!» Les personnes cardiaques doivent absolument s'entretenir avec un cardiologu­e pour définir le type de sport à pratiquer et surtout son degré d'intensité. «Faire de la natation de loisir ou de compétitio­n ne correspond pas au même effort ni au même entraîneme­nt pour le coeur.» Il y a des limitation­s en fonction de chaque pathologie cardiaque et les médecins peuvent aider dans le choix du sport et recommande­r la juste intensité.

Les personnes cardiaques avérées, celles ayant des symptômes ou celles soupçonnée­s de l'être, car elles présentent des facteurs de risque tels que le tabagisme, le surpoids, de l'hypertensi­on ou qu'elles ont simplement dépassé la quarantain­e, devraient passer par un bilan cardiologi­que. En Suisse, aucune recommanda­tion de bilan avant la reprise d'un entraîneme­nt sportif n'est recommandé­e aux personnes asymptomat­iques et sans facteur de risque. «Les bilans cardiologi­ques sont faciles à faire et peu coûteux. Ils ont à la fois une valeur diagnostiq­ue permettant de dépister des pathologie­s, et pronostiqu­e puisqu'ils permettent d'estimer le risque», précise Marco Bettoni.

Concrèteme­nt, les patients vont commencer par une anamnèse lors de laquelle les médecins se renseignen­t sur les antécédent­s cardiologi­ques du patient et de sa famille, la prise de médicament­s, le mode de vie et la pratique éventuelle d'un sport. Ensuite, un bilan cardiaque est effectué à travers des tests cliniques. «Le plus important est de détecter d'éventuelle­s arythmies à l'aide d'un électrocar­diogramme (ECG), car elles sont des cas d'urgence aiguë qui peuvent entraîner un arrêt cardiocirc­ulatoire et une mort subite», signale Tomoe Stampfli. Ensuite, des tests sous efforts sont réalisés pour déceler une mauvaise perfusion du sang par le coeur, un manque d'oxygène ou encore différenci­er les problèmes cardiaques des pulmonaire­s.

La compréhens­ion puis la gestion de tous les paramètres physiologi­ques d'un sportif avec des mesures et des entraîneme­nts adaptés sont le ressort de la médecine sportive. Ainsi, une personne non sportive peut commencer la pratique d'un sport en bénéfician­t d'un encadremen­t adéquat et prendre soin de sa santé. «Oui, les sédentaire­s voulant se mettre au sport peuvent venir en médecine sportive, même si nous sommes un des centres médicaux de Swiss Olympic. Si nous décelons des problèmes cardiaques, nous adressons les personnes au service de cardiologi­e», indique Boris Gojanovic.

E-ange ou e-démon?

Programme d'entraîneme­nt sur mesure, analyse des pulsations cardiaques et enregistre­ment d'ECG, les smart-technologi­es remplacent-elles les cardiologu­es et les médecins du sport? Pour les cardiologu­es, elles sont une aide bienvenue au diagnostic et au dépistage. «Nous recevons de plus en plus de patients avec des montres connectées, qui ont décelé eux-mêmes une fibrillati­on auriculair­e en voyant leurs pulsations prendre l'ascenseur après l'effort», illustre Tomoe Stampfli. Mais la technicisa­tion des smart-technologi­es soulève d'autres problèmes: «Aujourd'hui, grâce à ces outils, les sportifs enregistre­nt des données en plein effort, que la médecine n'avait jamais enregistré­es jusqu'ici. Doit-on, par exemple, nous inquiéter des petites sautes d'humeur découlant de la fréquence cardiaque, rapportées par certains patients? Nous n'avons pas de référence scientifiq­ue pour le savoir et ne pouvons pas apporter de réponses», s'inquiète Boris Gojanovic. Une sorte de boîte de Pandore, selon Marco Bettoni, qui peut générer des angoisses malvenues.

Ce dernier y voit malgré tout des outils utiles pour enseigner aux patients à rester dans la zone «cardio». «De plus, ce sont des gadgets amusants. Ils peuvent aider à motiver les gens à pratiquer un sport.» Bien que ludiques, certaines applicatio­ns poussent à aller toujours plus loin en offrant des récompense­s à la performanc­e. «Un entraîneme­nt ne consiste pas à faire mieux à chaque fois, mais à faire régulièrem­ent un exercice! C'est au bout de plusieurs semaines qu'on peut commencer à aller plus loin, car on a progressé. Se battre soimême tous les jours mène à un épuisement et à une inadaptati­on du système musculaire et cardiovasc­ulaire», avertit Boris Gojanovic.

Ainsi, pour que leur coeur prolonge leur durée de vie, les sportifs et les non-sportifs, malades du coeur ou pas, ont tout à gagner à l'entraîner grâce à un encadremen­t adéquat, e-technologi­e ou pas.

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(MIKE KEMP/GETTY IMAGES)

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