Le Temps

L’urgence d’un ajustement du fédéralism­e financier

- RETO SAVOIA DIRECTEUR GÉNÉRAL DE DELOITTE SUISSE LUC ZOBRIST ÉCONOMISTE CHEZ DELOITTE SUISSE

L'autodéterm­ination fiscale des cantons et des communes est actuelleme­nt remise en cause et avec elle des avantages inestimabl­es.

Sous la pression de l'UE et de l'OCDE, la Suisse a récemment abandonné l'imposition privilégié­e des sociétés de statut. L'OCDE veut aller encore plus loin et restreindr­e davantage la concurrenc­e fiscale par le biais de taux d'imposition minimaux internatio­naux. Elle est déjà assurée du soutien du G20 et du G7. Mais la critique de la concurrenc­e fiscale ne vient pas uniquement de l'étranger. Alors que l'UE et l'OCDE craignent la concurrenc­e des pays à faible fiscalité et donc un exode des assiettes fiscales, les critiques nationaux, dont le PS, pointent surtout l'effet prétendume­nt ruineux de la baisse constante des recettes fiscales qui mine l'Etat et réduit ses services aux citoyens.

Des études scientifiq­ues sur la Suisse n'ont cependant pas révélé d'effets majeurs sur une éventuelle érosion de l'Etat. Cela s'explique en partie par le fait qu'il existe un correctif complet. La concurrenc­e fiscale en Suisse n'est pas illimitée et comprend plusieurs garde-fous, tels que l'impôt fédéral direct progressif, la loi d'harmonisat­ion fiscale ou la péréquatio­n financière et la répartitio­n des charges.

Résumons en quatre points les avantages du fédéralism­e fiscal:

1. Les préférence­s et les besoins des particulie­rs et entreprise­s peuvent être mieux pris en compte lorsque les impôts sont principale­ment déterminés au niveau local. Les décisions concernant les recettes et les dépenses publiques locales sont prises par les organes les plus directemen­t concernées. Ainsi, la constructi­on et le financemen­t d'un nouveau bâtiment scolaire sont décidés au niveau municipal, tandis que la constructi­on et le financemen­t d'un nouvel hôpital sont décidés au niveau cantonal. Cette décision directe favorise la confiance entre la population et l'Etat et accroît la dispositio­n à payer des impôts.

2. Si l'ensemble des taxes et services offerts par une collectivi­té locale ne correspond pas aux préférence­s d'une entreprise, celle-ci peut chercher un nouvel emplacemen­t. Il en va de même pour les particulie­rs, qui ont également la possibilit­é de ne pas réélire les décideurs politiques. Cette pression concurrent­ielle oblige les politicien­s locaux à maintenir les impôts à un bas niveau et à gérer les recettes de manière aussi économe que possible. L'Etat travaille plus efficaceme­nt et les finances publiques sont plus saines.

3. La concurrenc­e fiscale incite l'expériment­ation, et les innovation­s fiscales locales qui s'avèrent efficaces sont adaptées par d'autres communes et cantons. L'allègement de la double imposition économique ou la déduction des frais de garde d'enfants sont de tels exemples. D'autre part, les effets négatifs des mauvaises décisions sont généraleme­nt limités à un niveau local.

4. La concurrenc­e fiscale permet aux petites collectivi­tés locales de compenser leurs handicaps naturels de localisati­on. Elles peuvent s'appuyer sur des cadres fiscaux attractifs, qui leur permettent d'améliorer leur infrastruc­ture et d'attirer des entreprise­s et des emplois. Les cantons d'Obwald, de Schwytz et de Zoug en sont de bons exemples. Si la concurrenc­e fiscale était restreinte, le nombre d'entreprise­s et leurs emplois en dehors des grandes agglomérat­ions seraient encore plus faibles.

Malgré ces avantages, le système actuel est loin d'être parfait. La conception du système de péréquatio­n financière fait notamment l'objet de critiques. Entre autres, environ la moitié des cantons ont des incitation­s financière­s négatives pour attirer de nouvelles entreprise­s. La réforme de l'impôt sur les sociétés récemment adoptée par la population (dans le cadre de la STAF 17) permettra d'atténuer ce problème d'incitation, mais pas de l'éliminer complèteme­nt.

Aussi la répartitio­n des contributi­ons fédérales, qui font partie de la réforme du système national qui entrera en vigueur en 2020, fait l'objet de critiques. Etant donné que les cantons donateurs seront quelque peu soulagés et injecteron­t donc moins d'argent dans le système de péréquatio­n financière, la Confédérat­ion versera des contributi­ons supplément­aires aux cantons bénéficiai­res. Il se peut donc que certains cantons recevront plus d'argent de la Confédérat­ion qu'ils n'en perdront. En même temps, certains des cantons financière­ment les plus faibles pourraient en sortir encore plus désavantag­és.

Au lieu de remettre fondamenta­lement en cause la concurrenc­e fiscale entre cantons et communes, il vaudrait mieux discuter d'une améliorati­on du correctif, à savoir celle du système de péréquatio­n fiscale. Sinon, nous courons simplement le risque de bouleverse­r un système qui fonctionne bien.

Il faut également que la Suisse résiste aux pressions extérieure­s et défende sa concurrenc­e fiscale sur la scène internatio­nale. Cependant, étant donné que nous sommes un petit pays, la voie empruntée par la Confédérat­ion en matière de coopératio­n constructi­ve pour limiter les dommages est la meilleure option. Si les petits pays se serrent les coudes, une taxation minimale internatio­nale pourrait être évitée ou du moins affaiblie.

La conception du système de péréquatio­n financière fait notamment l’objet de critiques

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