Le Temps

Pour garantir votre épargne, achetez des actions Nestlé

- RACHEL RICHTERICH @RRichteric­h

Un malaise? C'est ce que l'on ressent en discutant avec des observateu­rs des milieux financiers. Plus de 35% depuis le début de l'année et près de 40% sur un an: c'est la progressio­n en bourse de l'action Nestlé. Certes, la multinatio­nale de l'agroalimen­taire est une valeur défensive, soit jugée moins sensible aux cycles économique­s que des sociétés actives dans la constructi­on, par exemple, car le consommate­ur ne cessera a priori jamais de se nourrir. Et les résultats du groupe veveysan sont solides, en ligne avec une stratégie de recentrage sur des activités de croissance qui porte ses fruits. Mais ces facteurs seuls ne suffisent pas à justifier un tel engouement, que certains observateu­rs qualifient d'«anomalie» et de «problème de valorisati­on».

Historique­ment, la valeur de l'action suivait la courbe du dividende. Elle a littéralem­ent décolllé comparée au dividende versé par le groupe (2,45 francs pour 2018) qui croît de manière stable. Or, ce dividende n'a jamais cessé d'augmenter depuis vingt-cinq ans. Et c'est justement ce qui fait son attrait.

Le coupon est mort, vive le dividende

Dans un contexte de taux négatifs, détenir des liquidités coûte de l'argent. Les investisse­urs – caisses de pension, assureurs, particulie­rs – cherchent donc à répartir leur épargne dans divers placements, notamment dans l'immobilier. Or, le marché présente des signes toujours plus évidents de saturation, voire de surchauffe. Restent les obligation­s, dont le coupon garantissa­it jusqu'à récemment un rendement, ou, au moins, un remboursem­ent à 100% au terme de sa durée de vie.

Seulement voilà, les obligation­s sont elles aussi passées en territoire négatif, avec «ce non-sens absolu» que pointent les économiste­s, qui veut que, désormais, on paie pour pouvoir prêter de l'argent. Où investir l'argent? La même question se pose lorsqu'une obligation arrive à maturité.

Réponse: dans une action d'une société réputée solide, avec un modèle d'affaires unaniment jugé comme pérenne. Et, surtout, de hauts dividendes, constants, qui prennent de facto le rôle de coupon (dans sa définition financière, il s'agit des intérêts rapportés par une obligation).

A ce titre, Nestlé est emblématiq­ue. Petit plus, de l'avis d'experts, le groupe ne redistribu­e pas l'entier de ses profits, ce qui conforte l'hypothèse d'un rendement au dividende de 2,5% quasi assuré pour le futur. Parmi les autres «pépites» du marché suisse, figure Givaudan, dont l'action a gagné plus de 23% sur un an. Dans une moindre mesure, Swisscom (+16% sur un an), qui présente cependant le défaut d'être active dans les télécoms, un marché restreint en Suisse avec des prix sous pression. Ou encore la BCV (presque 10% sur un an), même si elle tend à distribuer une trop grande part de ses bénéfices, pointent des spécialist­es.

Risques de fortes correction­s

Si les tous les critères sont réunis, pourquoi ces mines d'analystes inquiets, surprises au cours de diverses rencontres? Investir dans l'économie, n'est-ce pas justement ce que visaient les banques centrales en appliquant des taux négatifs?

Le problème, c'est qu'il ne s'agit que de racheter à celui qui le détient un titre déjà existant, augmentant seulement la valeur de son cours, pas son nombre. Tout au plus ces transactio­ns leur permettent-elles de vendre ou d'acheter des activités ou des filiales à très bon prix, ce que fait d'ailleurs Nestlé.

Par ailleurs, ces investisse­urs ne se tournent que vers des entreprise­s établies et robustes, qui possèdent généraleme­nt des niveaux colossaux de liquidités.

Ils s'exposent en revanche au risque de perte de capital. L'action Nestlé avait perdu près d'un tiers de sa valeur dans les mois qui ont suivi l'éclatement de la dernière crise financière à l'automne 2008. Dans un contexte actuel soumis à une forte volatilité, exacerbée par l'interminab­le guerre commercial­e que se livrent Washington et Pékin, les risques d'importante­s correction­s sont plus marqués que jamais.

Le monde à l’envers

Dans un tel scénario, gage à l'investisse­ur de garder la tête froide et de se souvenir qu'il a acheté cette action non pas pour le gain en capital, comme il le faisait jusqu'à présent, mais pour le coupon. Soit plus ou moins pour toujours. En revanche, nul ne se risque à prédire l'issue de ce «monde à l'envers» financier, qui bouleverse la conception même de l'argent et interroge tout le système monétaire.

Dans ce contexte changeant, qui gomme les certitudes, et où même le consommate­ur n'est plus fidèle à ses habitudes, «la question clé dans le cas de Nestlé c'est de savoir si ses produits demeureron­t essentiels sur le long terme?» souffle un expert. ▅

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