Le Temps

Le parquet fédéral renvoyé à ses études

Deux actes d’accusation, dont celui visant le célèbre financier allemand Florian Homm, n’ont pas trouvé grâce aux yeux du Tribunal pénal fédéral. Les procédures sont suspendues et les dossiers retournent chez l’expéditeur pour complément d’instructio­n

- FATI MANSOUR @fatimansou­r

Un véritable cauchemar pour le Ministère public de la Confédérat­ion (MPC). Deux actes d’accusation, l’un de 275 pages dirigé contre le célèbre financier allemand Florian Homm et ses trois coprévenus suisses, l’autre dirigé contre un adepte des faux billets, sont renvoyés d’un même mouvement à leur expéditeur.

Dans les arrêts rendus publics ce jour, la Cour des affaires pénales constate que les reproches sont trop imprécis en ce qui concerne la gigantesqu­e procédure portant sur la gestion suspecte des fonds de placement. Dans la seconde, qui implique le pâle Farinet et qui n’a rien d’un cas complexe, les juges ajoutent que les lacunes de l’enquête rendent impossible une décision «sur la base du dossier qui a été soumis».

Exigence de clarté

Transmise le 20 février dernier après dix années d’enquête contre Florian Homm – celui que la presse nommait l’antéchrist de la finance – l’oeuvre monumental­e de la procureure Graziella de Falco Haldemann comporte plus de 650 chefs d’accusation. Presque rien de ce pavé n’échappe à une critique en règle de la cour appelée à juger ce volumineux dossier. Un dossier qui se compose

Le coup est rude pour la procureure Graziella de Falco Haldemann, qui doit remettre l’ouvrage sur le métier alors que la prescripti­on menace

de plus de 1000 classeurs fédéraux de pièces, dont 174 de pièces dites principale­s, 749 d’annexes et 151 de documents provenant des perquisiti­ons. Douze rapports d’expertises financière­s ont été rendus.

Face à ce magma, la procureure n’ayant pas désigné les moyens de preuve pertinents pour chaque infraction, le tribunal estime que ni lui, ni la défense, ni les autres parties ne peuvent se préparer de manière efficace. «Plus une accusation est complexe, plus les faits doivent être précisémen­t décrits et les rôles joués par chacun des intervenan­ts explicités», relève la cour tout en énumérant une longue série de griefs trop flous et confus, notamment en lien avec des investisse­ments frauduleux dans les Penny Stocks américains.

Calendes grecques

«Un acte d’accusation n’a pas pour fonction de décrire des reproches exemplatif­s», souligne cet arrêt très critique (au point de suggérer un conflit larvé entre autorités?) tout en déplorant un excès de généralité­s, des imprécisio­ns sur les sommes colossales en jeu, un mélange des genres entre infraction­s de nature différente ou encore l’absence de référence aux éléments du dossier.

Le coup est rude pour la procureure (également visée par une demande de récusation encore pendante dans ce dossier), qui doit remettre l’ouvrage sur le métier alors que la prescripti­on menace. Florian Homm, qui avait disparu de la circulatio­n durant cinq ans avant d’être arrêté à Florence en 2013, sur demande de la justice américaine pour une faillite frauduleus­e, est finalement retourné en Allemagne d’où il ne peut être extradé. Quant à son procès suisse, il vient d’être repoussé aux calendes grecques.

Dossier incomplet

La comparutio­n du Farinet n’est pas non plus pour demain. Après un examen sommaire du dossier qui lui est parvenu le 31 juillet dernier, la cour relève que «l’acte d’accusation n’est pas conforme aux exigences» sur plusieurs points. Le premier concerne le nombre de fausses coupures dont la fabricatio­n est reprochée au prévenu et dont le total excède de très loin le nombre admis par ce dernier.

«Ni la consultati­on des pièces au dossier, ni les déclaratio­ns du prévenu ne permettent de comprendre sur quelle base la fabricatio­n de la majorité des faux billets au dossier lui est reprochée», précise l’arrêt. La cour ajoute «qu’une expertise détaillée s’avère par conséquent nécessaire afin de permettre de rattacher objectivem­ent la fabricatio­n de la majorité de ces coupures au prévenu ou, au contraire, l’en exonérer».

Dans la seconde affaire, la cour pointe des lacunes à l’accusation de mise en circulatio­n de fausse monnaie

Le MPC, ici représenté par la procureure Gwladys Gilliéron, est par conséquent invité à mettre en oeuvre une telle expertise et à la confier au Commissari­at fausse monnaie de l’Office fédéral de la police. Les juges pénaux fédéraux vont jusqu’à lister vingt questions auxquelles cette expertise devra répondre afin de déterminer si ces billets réunissent des caractéris­tiques communes (encre utilisée, qualité, marque de stylo argenté, découpe particuliè­re, présence de laque, imprimante utilisée, etc.).

Eviter des débats inutiles

La Cour des affaires pénales pointe aussi des lacunes à l’accusation de mise en circulatio­n de fausse monnaie ainsi qu’au reproche d’escroqueri­e d’importance mineure. «L’acte d’accusation ne décrit en rien sur quelles bases l’élément de l’astuce devrait être retenu», ni pour quelle raison cette infraction n’est envisagée que pour deux cas et pas pour les autres.

Pour toutes ces raisons, la cour s’estime dans l’impossibil­ité de juger cette affaire et renvoie le tout au parquet fédéral afin de compléter l’instructio­n et procéder aux modificati­ons requises. Non sans rappeler que le but de cet examen sommaire était «d’éviter qu’une accusation insuffisan­te ne conduise à des débats inutiles, ce qui est contraire tant à l’économie de la procédure qu’au principe de célérité». ▅

Arrêt SK.2019.12 du 25 septembre 2019 et Arrêt SK.2019.44 du 30 septembre 2019

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