Le Temps

Derby coréen sous pression à Pyongyang

Les sélections du Nord et du Sud s’affrontent ce mardi en éliminatoi­res de la Coupe du monde 2022. L’enjeu sportif est important pour les deux équipes, mais il est presque éclipsé par le contexte chargé dans lequel le match va se dérouler

- LOUIS PALLIGIANO, SÉOUL (CORÉE DU SUD)

Dans la course à la qualificat­ion pour la Coupe du monde de football 2022, il est des matchs moins anodins que d’autres. Il en va ainsi de celui qui mettra aux prises, ce mardi à Pyongyang, les deux Corées. De part et d’autre du terrain, les sélections de deux pays techniquem­ent toujours en conflit depuis soixante-six ans, la guerre qui les a déchirés entre 1950 et 1953 s’étant soldée par un armistice et non un traité de paix.

La deuxième phase des éliminatoi­res du Mondial donnera lieu à la première visite des Guerriers Taegeuk dans la capitale nord-coréenne en près de trois décennies, alors que les échanges transfront­aliers sont au point mort depuis des mois sur fond d’impasse dans les pourparler­s sur la dénucléari­sation. Aucun supporter ni journalist­e du Sud ne s’est vu délivrer de visa pour traverser la frontière. L’atmosphère promet d’être étrange pour les hommes de l’entraîneur portugais Paulo Bento, qui devront fouler la pelouse synthétiqu­e du stade Kim Il-sung devant un public exclusivem­ent nord-coréen.

Silence radio

La sélection sud-coréenne a d’abord fait un détour par Pékin, dimanche, afin de récupérer ses visas pour le Nord puis de s’envoler en direction de Pyongyang le lendemain. Enième complicati­on pour un derby coréen autour duquel les incertitud­es se sont accumulées ces dernières semaines. «L’un des matchs les plus attendus» des éliminatoi­res de la Coupe du monde de football 2022, d’après la Confédérat­ion asiatique de football (AFC), représente forcément davantage qu’un simple rendez-vous sportif. Il intervient dans le sillage d’une série de tests de missiles nord-coréens mais aussi de l’échec des négociatio­ns nucléaires entre les Etats-Unis et la Corée du Nord.

Dans un contexte de refroidiss­ement des relations intercorée­nnes, Pyongyang n’a pas répondu aux appels répétés de Séoul concernant des questions administra­tives, en particulie­r sur les moyens de permettre aux spectateur­s, aux journalist­es et aux équipes de télévision de se rendre dans le pays communiste pour assister à la rencontre.

«Nous avons sondé le Nord via divers canaux de discussion­s, mais aucune réponse n’a été donnée», a déploré vendredi devant la presse un porte-parole du Ministère sud-coréen de l’unificatio­n, qui a annoncé avoir approuvé les voyages de 55 personnes, dont 25 joueurs. Tous les Sud-Coréens qui souhaitent se rendre au nord du 38e parallèle doivent préalablem­ent recevoir une invitation des autorités nord-coréennes, ainsi que l’approbatio­n de Séoul.

Depuis le match amical organisé en octobre 1990 en faveur de la réunificat­ion, le royaume ermite a toujours refusé d’accueillir son voisin sud-coréen, préférant déplacer les rencontres sur un site neutre, en Chine. La seule

Aucun supporter ni journalist­e du Sud ne s’est vu délivrer de visa pour traverser la frontière

exception fut le match de qualificat­ion pour la Coupe asiatique féminine de l’AFC en 2017, qui s’est conclu sur un nul 1-1. Kim Do-yeon, défenseuse au sein des Incheon Red Angels et de l’équipe nationale, faisait partie de l’aventure. «J’attendais beaucoup de ce déplacemen­t, c’était une des rares occasions de se rendre là-bas. Les gradins étaient uniquement remplis de supporters nord-coréens. C’était impression­nant de les voir tous porter la même couleur», se remémore-t-elle.

Pas de retransmis­sion en direct

Chez les hommes, le défenseur Lee Jae-ik a exprimé son appréhensi­on à quelques jours du match, déclarant «avoir un peu peur d’aller à Pyongyang» et «espérer pouvoir revenir en vie». La joueuse aux 80 sélections en équipe nationale, elle, tempère: «Je n’ai pas ressenti d’animosité dans le stade, il y a juste eu un silence de mort quand nous avons inscrit un but. C’était irréel, une telle foule qui devient complèteme­nt silencieus­e. Le reste du temps, l’ambiance était assourdiss­ante. Je pense que sur le terrain la communicat­ion entre les joueurs ne sera pas aisée.»

Comme pour la rencontre féminine, dont une version éditée avait été diffusée quelques jours plus tard, le match des deux sélections en tête du groupe H prévu ce mardi à 17h30 ne sera pas retransmis en direct. Il pourra néanmoins être suivi via les commentair­es publiés sur les sites de la FIFA et de l’AFC.

Le choc intercorée­n est important d’un point de vue sportif, entre deux équipes qui ont gagné leurs deux premières rencontres qualificat­ives. Difficile toutefois de ne pas y voir d’abord l’opportunit­é d’une relance de la diplomatie entre Séoul et Pyongyang. Etant donné que le Nord a confirmé qu’il se conformera­it à l’usage internatio­nal, l’hymne sud-coréen devrait être joué avant la rencontre et le drapeau national du Sud sera vraisembla­blement hissé tout au long du match dans le stade Kim Il-sung, du nom du fondateur du régime, où plus de 40000 spectateur­s nord-coréens sont attendus. En soi, il s’agira d’un symbole fort.

Projet de Jeux communs

L’an passé, la présence d’une délégation nord-coréenne aux Jeux olympiques d’hiver de Pyeongchan­g avait permis la reprise du dialogue qui a conduit à plusieurs sommets entre le président sud-coréen, Moon Jae-in, et le dirigeant du Nord, Kim Jong-un. Depuis, les projets sportifs intercorée­ns fleurissen­t pour tenter de normaliser des relations toujours chaotiques. Les deux pays ont notamment exprimé leur intention de présenter une candidatur­e commune pour la Coupe du monde féminine de football 2023. Au début du mois, Moon a également réaffirmé sa déterminat­ion à coorganise­r les Jeux olympiques 2032 avec le Nord.

De nombreux observateu­rs jugent néanmoins peu probable que le match de mardi entraîne des progrès diplomatiq­ues. «Nous ne devons pas fonder de trop grands espoirs, il n’y aura aucune avancée spectacula­ire en conséquenc­e», estime Brendan Howe, professeur au départemen­t d’études internatio­nales de l’Université féminine Ewha à Séoul. «Cet engagement diplomatiq­ue soft fait toutefois partie d’un processus progressif de socialisat­ion qui favorise une culture de coopératio­n plutôt que d’opposition, c’est toujours positif.» ■

 ?? (NG HAN GUAN/AP) ?? La sélection sud-coréenne a dû se rendre à Pékin dimanche afin d’obtenir les visas nécessaire­s à son voyage en Corée du Nord. C’est de la capitale chinoise qu’elle s’est envolée le lendemain pour Pyongyang.
(NG HAN GUAN/AP) La sélection sud-coréenne a dû se rendre à Pékin dimanche afin d’obtenir les visas nécessaire­s à son voyage en Corée du Nord. C’est de la capitale chinoise qu’elle s’est envolée le lendemain pour Pyongyang.

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