Le Temps

Le «loup blanc» du foot genevois

Recruteur à Servette depuis trente-trois ans, cet amoureux des Grenats écume les terrains à la recherche des talents de demain. C’est lui qui a découvert la plupart des Genevois qui ont fait partie de l’équipe de Suisse ces dernières années

- CHRISTIAN LANZA JOACHIM GONZALEZ @js_gonzalez

Ce mardi soir, lorsque le coup d'envoi du match entre la Suisse et la République d'Irlande sera donné à Genève, Christian Lanza sera «forcément ému», comme souvent devant les rencontres de la Nati. Denis Zakaria et Kevin Mbabu, deux de «ses» joueurs, auront une nouvelle fois l'occasion d'étrenner le maillot de l'équipe nationale. Recruteur à Servette depuis trente-trois ans, il a repéré le premier et entraîné les deux alors qu'ils étaient encore tout jeunes, en pleine adolescenc­e.

Pour de nombreux dénicheurs de talents, ou «scouts», il s'agirait d'une consécrati­on. Mais le Genevois de 70 ans, lui, est désormais habitué. Totalement inconnu du grand public, il a balisé le chemin de nombreux internatio­naux suisses. Ces dernières années, il fut le premier à déceler le potentiel de Philippe Senderos, Reto Ziegler, Julian Esteban ou encore François Moubandje. «Si vous voyez des Genevois avec la Nati, alors je les ai forcément côtoyés, s'amuse-t-il, tout en restant modeste. Il arrive parfois que quatre ou cinq des onze titulaires aient été mes joueurs, jeunes. C'est un honneur d'avoir pu participer à leur développem­ent.»

Entre ombre et lumière

Amoureux de Servette, Christian Lanza ne reste jamais très loin des terrains. En ce début d'après-midi, il sort de l'entraîneme­nt de l'effectif profession­nel, survêtemen­t du club sur le dos. «J'y vais par plaisir, car je m'occupe uniquement du recrutemen­t de jeunes joueurs, jusqu'aux M21. J'ai consacré toute ma vie à ce club. En trouvant des bons joueurs, je l'aide forcément à progresser, insiste-t-il avec conviction. Cette passion pour les Grenat me permet de mieux faire mon travail.»

Très bienveilla­nt, le recruteur genevois jouit d'une certaine notoriété dans son canton, en particulie­r dans le milieu du foot. Son flair et sa moustache blanche ont depuis longtemps construit sa réputation au-delà du club servettien. «J'effectue plutôt un travail de l'ombre, je n'aime vraiment pas me mettre en avant, assure-t-il entre deux gorgées de café. Mais les gens connaissen­t forcément mon visage: je me rends autour des terrains genevois depuis trentetroi­s ans, comme recruteur ou entraîneur juniors, une fonction que j'ai exercée durant mes vingtcinq premières années ici.»

Le méchant

Cette forme de célébrité lui a toutefois porté préjudice. Dans le canton, une méfiance s'est développée à son égard. «C'était le seul scout de Servette. Les petits clubs n'aimaient pas le voir. Ils avaient l'impression de se faire voler leurs joueurs», explique Carlos Varela, aujourd'hui membre de la cellule recrutemen­t du club genevois. «J'avais le rôle du méchant, se souvient l'intéressé en haussant les sourcils. C'était absurde: les petites équipes verrouilla­ient le départ de leurs meilleurs éléments pour jouer la cinquième place plutôt que la dixième dans un championna­t régional. Moi, c'est ça que j'appelle être méchant.»

Cette mauvaise réputation, il en a tiré un surnom: le «loup blanc». «Je crois qu'on m'a toujours appelé comme ça. J'étais bêtement le prédateur dont on se méfiait, à l'affût, celui qui écumait les clubs. Quand le «loup blanc» arrivait, l'entraîneur sortait aussitôt ses meilleurs joueurs. Je ne pouvais donc pas les étudier, sourit-il en hochant la tête. Mais ce surnom était surtout bienveilla­nt, donné par des amis. Je l'aime bien. Puis le blanc, c'est la couleur de mes cheveux, c'est celle de la pureté…»

Aujourd'hui, Christian Lanza n'est plus craint. La réforme du système de formation du football suisse, avec l'apparition du concept Footeco en 2012, incite les

«J’étais le prédateur dont on se méfiait, celui qui écumait les clubs. Quand le «loup blanc» arrivait, l’entraîneur sortait ses meilleurs joueurs. Je ne pouvais donc pas les étudier»

petits clubs du canton à dévoiler eux-mêmes leurs meilleurs joueurs dès qu'ils ont 11 ans. «Ce système est mille fois préférable, se réjouit le septuagéna­ire en usant de grands gestes pour en décrypter les enjeux. Les relations avec les clubs sont apaisées. Et surtout, nous sommes maintenant plusieurs à pouvoir superviser un même joueur, les erreurs sont donc nettement diminuées.»

«Monsieur Lanza»

Des erreurs, il en a commis quelques-unes durant sa carrière. Mais ce n'est pas tellement son ego qui s'en est trouvé affecté. «C'est terrible de faire miroiter un avenir dans le foot à un jeune pour rien, alors que l'erreur vient de nous», admet-il un peu amer. Longtemps entraîneur des M15 de Servette, il s'est toujours montré protecteur et autoritair­e envers ses joueurs. «Quand on est jeune, c'est un peu rude, se souvient Carlos Varela, repéré à 12 ans par celui qu'il appelle respectueu­sement «Monsieur Lanza». Il avait le ton du respect et de l'autorité. C'est vraiment quelqu'un d'extraordin­aire.»

Ancien professeur de français et de latin, Christian Lanza a toujours insisté pour que ses joueurs disposent d'un bagage scolaire suffisant. Pour leur développem­ent personnel, mais aussi parce qu'ils seront très peu à atteindre le monde profession­nel. «Ceux qui échouent n'auront pas tout perdu, ils auront acquis beaucoup de valeurs ainsi qu'une grande faculté d'adaptation. Et ils viennent très souvent renforcer les autres équipes du canton», relève-t-il. Juste et rigoureux, ce Servettien de coeur a noué une forte relation avec beaucoup de ses joueurs. Au moment d'entrer sur la pelouse de leurs débuts profession­nels, dans le stade de Genève, Kevin Mbabu et Denis Zakaria auront peut-être une pensée pour l'homme qui, avant tout le monde, avait cru en leur potentiel. ▅

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