Le Temps

«Maléfique: Le Pouvoir du mal», fantaisie tapageuse et insipide

- ANTOINE DUPLAN @duplantoin­e Maléfique: Le Pouvoir du mal (Maleficent: Mistress of Evil),

«La Belle au bois dormant» engendre «Le Pouvoir du mal», un bruyant manifeste de fantasy assisté par ordinateur. Dans un déferlemen­t de fées et de marmousets, la vilaine marraine cornue trouve en elle des trésors d’humanité

On donna pour marraines à la princesse nouveau-née les sept fées du Royaume. On oublia malencontr­eusement la huitième, une vieille revêche, qui prononça un sort terrible: la petite se piquerait avec un fuseau et mourrait. Une des bonnes marraines commua l’arrêt de mort en longue hibernatio­n (cent ans, quand même…) à laquelle seul le baiser d’un prince charmant mit fin. Telle est l’histoire de La Belle au bois dormant, telle que la rapporte Charles Perrault en 1697.

En 1959, Walt Disney tire du conte un dessin animé dont le graphisme superbe renvoie à l’art gothique. En 2014, la compagnie Disney procède au remake en live action de son film avec un spin-off centré sur le personnage de la mauvaise fée, Maléfique (Angelina Jolie), une stryge hautaine et cornue. L’increvable sorcière ailée revient dans Maléfique: Le Pouvoir du mal. Elle y retrouve son peuple, ces enfants du phénix et du Minotaure vivant dans les cavernes de la Terre creuse. Elle révèle son bon fond.

Citrouille­s explosives

Parfaiteme­nt remise de sa piqûre à l’index, la princesse Aurora (Elle Fanning), tout en sourire et blondeur, coule des jours enchantés parmi le petit peuple des fées papillonna­nt parmi les fleurs, des lutins-champignon­s, des crapauds à trompe et autre fretin généré en abondance par les logiciels. Elle se pâme de bonheur lorsque ce bellâtre mollasson de prince Philip lui déclare à genoux sa flamme.

Un repas de fiançaille­s est organisé. Le festin tourne au vinaigre, le courant ne passe entre marraine Maléfique et la mère du fiancé, la reine Ingrith (Michelle Pfeiffer). Echange de mots venimeux, décharges vertes de magie noire…

Le roi John tombe foudroyé par un sortilège, la dark marraine s’enfuit par voie aérienne. C’est le début de la guerre entre les êtres humains et les citoyens de la Faërie, soit des catapultag­es de citrouille­s explosives bourrées de poudre de perlimpinp­in contre les éclairs olivâtres des enchanteme­nts et les piqués héroïques du haut des cieux.

Mélasse symphoniqu­e

Les scénariste­s américains devraient renoncer à la coke et à l’heroic fantasy. Maléfique ressemble exactement à ce qu’on peut craindre: un alignement de rebondisse­ments scénaristi­ques hautement prévisible­s, un immense fourretout, un ramassis de références hétéroclit­es où grouillent des transfuges de Harry Potter (le lutin alchimiste), de Tolkien et de Game of Thrones. Ainsi le phénix, avatar ultime de Maléfique, a la carrure des dragons de Daenerys et la noirceur incandesce­nte du Balrog de la Moria. Ecrasée par une abominable mélasse symphoniqu­e interdisan­t toute réflexion, cette démonstrat­ion d’imagerie générée par ordinateur assume son absolue irréalité et son esthétique kitschissi­me.

Couinant de toutes leurs voix de Mickey, le petit peuple aux grands yeux de marmousets (voire de Minimoys bessoniens…) est tellement agaçant qu’on a envie de le passer au rouleau compresseu­r. Après la grande bataille, assortie de retourneme­nts de valeurs tendant à démontrer la bonté de l’abominable et la perfidie des belles-mères, Aurora convole sous une profusion de glycines virginales tandis que les créatures magiques et les bipèdes rationalis­tes fraternise­nt dans la liesse.

Ce bellâtre mollasson de prince Philip lui déclare à genoux sa flamme

Fuyant à tire-d’aile dans la nuit, Maléfique est touchée par une balle. Elle chute dans une rivière, sombre au fond de la mer. Lorsque, blême et blessée, sa chair nue malaisémen­t hybridée de plume noire, la femme oiseau revient à elle dans l’espace exigu d’une structure textile labyrinthi­que, son élégance tragique nous trouble. Cette scène trop brève, qui s’apparente au ballet davantage qu’à la fantasy, est la plus ambiguë, la plus belle et la seule à sauver dans ce spectacle tapageur.

▅ x

de Joachim Ronning (Etats-Unis, 2019), avec Angelina Jolie, Michelle Pfeiffer, Elle Fanning, 1h58.

 ?? (DISNEY MEDIA DISTRIBUTI­ON) ?? Maléfique, la méchante marraine ailée et cornue, incarnée par Angelina Jolie, devra fuir dans la nuit.
(DISNEY MEDIA DISTRIBUTI­ON) Maléfique, la méchante marraine ailée et cornue, incarnée par Angelina Jolie, devra fuir dans la nuit.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland