Des Catalans attirés par l’action clandestine
Après les lourdes condamnations de leurs dirigeants, certains indépendantistes se montrent décidés à poursuivre leur combat sous de nouvelles formes
Ils n’ont ni leaders ni porte-parole, et les contacter relève de la partie de cache-cache. Ils sont partout et nulle part. A parcourir le centre de Barcelone mardi matin, au milieu des nuées de touristes, impossible de les reconnaître ou de les localiser. Mais ils disent avoir la puissance et l’envergure d’un tsunami, comme l’indique leur nom, «Tsunami democràtic», mouvement lancé en septembre. Leur importance croît de jour en jour, via leur compte Twitter ou Instagram, ou à travers le service de messagerie Telegram, où ils compteraient déjà 130000 followers.
Tsunami democràtic est une plateforme à vocation clandestine. Son existence est directement liée au verdict du Tribunal suprême espagnol, rendu lundi, qui après deux ans de procès a condamné neuf responsables séparatistes à des peines de prison allant de 9 à 13 ans pour «sédition» et «détournement de fonds». Ces sanctions répondent aux événements de l’automne 2017, lorsque le gouvernement indépendantiste régional d’alors avait organisé un référendum d’autodétermination illégal et déclaré symboliquement l’indépendance de la Catalogne. Pour couper court à ce défi sécessionniste, le pouvoir central avait mis sous tutelle la région rebelle, et le Tribunal suprême avait détenu ceux qu’il estimait être les instigateurs de cette «violation du cadre constitutionnel», à savoir les neuf condamnés de lundi. Sept autres suspects ont fui la justice espagnole dans des pays européens, à l’instar de l’ancien président de l’exécutif catalan Carles Puigdemont, installé à Waterloo, en Belgique.
Une solution à la frustration
A lire les messages qui défilent sur leur compte Twitter, les membres de Tsunami democràtic promettent une réponse collective à «la répression de l’Etat espagnol». «Nous sommes là pour donner une solution à la désorientation et à la frustration du peuple catalan» ou «nous serons présents sur tous les fronts», peut-on lire par exemple. Ils disent être la voix des innombrables Catalans en colère face à la sévérité des condamnations et ce qu’ils qualifient d’«attentat contre la démocratie». Lundi soir, la plateforme «Tsunami» avait réussi à couper des accès routiers autour de Gérone et à provoquer le chaos dans l’aéroport d’El Prat.
Mardi, du fait de leurs actions surprises, des routes du centre de la Catalogne ont été coupées, notamment la C17 proche de Vic. Convaincu que la situation risque de dégénérer dans les jours à venir, le ministre de l’Intérieur Fernando Grande-Marlaska a annoncé l’envoi d’un millier de gardes civils supplémentaires pour prêter main-forte aux quelque 2000 agents antiémeutes déjà sur place ainsi qu’aux Mossos, les agents de la police autonome. Le même ministre a aussi indiqué que ses services de renseignement «travaillaient» afin de «démasquer les responsables de Tsunami democràtic», dont les agissements s’apparentent à Anonymous, un cybermouvement lancé en 2003.
Adoubement obligatoire
Ces militants rivalisent de prudence: celui qui souhaite en être partie prenante ou suivre leurs actions doit, après téléchargement d’une application «privée et anonyme», être adoubé par un des membres. «C’est la seule façon d’échapper aux persécutions policières de l’Etat espagnol. Agir par surprise, de façon solidaire et en suivant les préceptes de la désobéissance civile. Nous continuerons les sabotages jusqu’à la résolution du conflit et l’amnistie pour les neuf condamnés», confie l’un d’eux, via Twitter. Sur les hauteurs de la Carrer de la Marina, au siège de l’Assemblée nationale de la Catalogne (l’ANC, la principale organisation citoyenne qui depuis 2012 convoque tous les rassemblements séparatistes), on se montre solidaire. «Heureusement que le Tsunami sait mobiliser!» s’exclame Vanessa, une infirmière de 42 ans, venue acheter un drapeau et des pin’s indépendantistes.
Au premier étage du bâtiment, Jordi Vilanova, membre du secrétariat de l’ANC, est encore sous le choc des «condamnations antidémocratiques» décrétées par le Tribunal suprême, d’autant que deux des condamnés sont d’anciens présidents de cette organisation civile. Et, à l’instar de l’actuel président régional catalan, le sécessionniste Quim Torra, il applaudit la «résilience» du mouvement Tsunami. «Si nous-mêmes convoquions des marches de protestation, nous risquerions d’être aussi détenus par le pouvoir espagnol», explique-t-il. Aujourd’hui, le nouveau mouvement clandestin canalise le sentiment de révolte contre un verdict historique qui paraît avoir encore aiguisé la défiance contre Madrid.
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