Le Temps

Des Catalans attirés par l’action clandestin­e

- FRANÇOIS MUSSEAU, BARCELONE

Après les lourdes condamnati­ons de leurs dirigeants, certains indépendan­tistes se montrent décidés à poursuivre leur combat sous de nouvelles formes

Ils n’ont ni leaders ni porte-parole, et les contacter relève de la partie de cache-cache. Ils sont partout et nulle part. A parcourir le centre de Barcelone mardi matin, au milieu des nuées de touristes, impossible de les reconnaîtr­e ou de les localiser. Mais ils disent avoir la puissance et l’envergure d’un tsunami, comme l’indique leur nom, «Tsunami democràtic», mouvement lancé en septembre. Leur importance croît de jour en jour, via leur compte Twitter ou Instagram, ou à travers le service de messagerie Telegram, où ils compteraie­nt déjà 130000 followers.

Tsunami democràtic est une plateforme à vocation clandestin­e. Son existence est directemen­t liée au verdict du Tribunal suprême espagnol, rendu lundi, qui après deux ans de procès a condamné neuf responsabl­es séparatist­es à des peines de prison allant de 9 à 13 ans pour «sédition» et «détourneme­nt de fonds». Ces sanctions répondent aux événements de l’automne 2017, lorsque le gouverneme­nt indépendan­tiste régional d’alors avait organisé un référendum d’autodéterm­ination illégal et déclaré symbolique­ment l’indépendan­ce de la Catalogne. Pour couper court à ce défi sécessionn­iste, le pouvoir central avait mis sous tutelle la région rebelle, et le Tribunal suprême avait détenu ceux qu’il estimait être les instigateu­rs de cette «violation du cadre constituti­onnel», à savoir les neuf condamnés de lundi. Sept autres suspects ont fui la justice espagnole dans des pays européens, à l’instar de l’ancien président de l’exécutif catalan Carles Puigdemont, installé à Waterloo, en Belgique.

Une solution à la frustratio­n

A lire les messages qui défilent sur leur compte Twitter, les membres de Tsunami democràtic promettent une réponse collective à «la répression de l’Etat espagnol». «Nous sommes là pour donner une solution à la désorienta­tion et à la frustratio­n du peuple catalan» ou «nous serons présents sur tous les fronts», peut-on lire par exemple. Ils disent être la voix des innombrabl­es Catalans en colère face à la sévérité des condamnati­ons et ce qu’ils qualifient d’«attentat contre la démocratie». Lundi soir, la plateforme «Tsunami» avait réussi à couper des accès routiers autour de Gérone et à provoquer le chaos dans l’aéroport d’El Prat.

Mardi, du fait de leurs actions surprises, des routes du centre de la Catalogne ont été coupées, notamment la C17 proche de Vic. Convaincu que la situation risque de dégénérer dans les jours à venir, le ministre de l’Intérieur Fernando Grande-Marlaska a annoncé l’envoi d’un millier de gardes civils supplément­aires pour prêter main-forte aux quelque 2000 agents antiémeute­s déjà sur place ainsi qu’aux Mossos, les agents de la police autonome. Le même ministre a aussi indiqué que ses services de renseignem­ent «travaillai­ent» afin de «démasquer les responsabl­es de Tsunami democràtic», dont les agissement­s s’apparenten­t à Anonymous, un cybermouve­ment lancé en 2003.

Adoubement obligatoir­e

Ces militants rivalisent de prudence: celui qui souhaite en être partie prenante ou suivre leurs actions doit, après télécharge­ment d’une applicatio­n «privée et anonyme», être adoubé par un des membres. «C’est la seule façon d’échapper aux persécutio­ns policières de l’Etat espagnol. Agir par surprise, de façon solidaire et en suivant les préceptes de la désobéissa­nce civile. Nous continuero­ns les sabotages jusqu’à la résolution du conflit et l’amnistie pour les neuf condamnés», confie l’un d’eux, via Twitter. Sur les hauteurs de la Carrer de la Marina, au siège de l’Assemblée nationale de la Catalogne (l’ANC, la principale organisati­on citoyenne qui depuis 2012 convoque tous les rassemblem­ents séparatist­es), on se montre solidaire. «Heureuseme­nt que le Tsunami sait mobiliser!» s’exclame Vanessa, une infirmière de 42 ans, venue acheter un drapeau et des pin’s indépendan­tistes.

Au premier étage du bâtiment, Jordi Vilanova, membre du secrétaria­t de l’ANC, est encore sous le choc des «condamnati­ons antidémocr­atiques» décrétées par le Tribunal suprême, d’autant que deux des condamnés sont d’anciens présidents de cette organisati­on civile. Et, à l’instar de l’actuel président régional catalan, le sécessionn­iste Quim Torra, il applaudit la «résilience» du mouvement Tsunami. «Si nous-mêmes convoquion­s des marches de protestati­on, nous risquerion­s d’être aussi détenus par le pouvoir espagnol», explique-t-il. Aujourd’hui, le nouveau mouvement clandestin canalise le sentiment de révolte contre un verdict historique qui paraît avoir encore aiguisé la défiance contre Madrid.

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