Le Temps

L’Etat islamique émet des signes de remobilisa­tion

L’incertitud­e grandit sur le sort de milliers de djihadiste­s jusqu’ici détenus par les Kurdes syriens. Le risque d’un retour de certains Européens dans leur pays d’origine inquiète

- MARC ALLGÖWER @marcallgow­er

Un groupe terroriste défait, ses combattant­s morts ou emprisonné­s, puis une offensive militaire turque qui rebat les cartes. Dimanche dernier, la crainte de nombreux experts s’est matérialis­ée dans le camp d’Aïn Issa, d’où sont partis 800 proches de membres du groupe Etat islamique (EI). Les prisonnier­s auraient attaqué leurs gardiens, selon les autorités kurdes syriennes. Mais Ankara accuse ces dernières d’avoir orchestré cette évasion afin d’effrayer les Occidentau­x au moment où le retrait américain bouleverse la région.

Parmi les dizaines de milliers de survivants du califat détenus dans différents sites au nord-est de la Syrie, on compte 12000 combattant­s, dont 3000 étrangers. Or leur maintien en détention n’est pas garanti. «Les Kurdes ont été très clairs: ce n’est plus leur priorité», explique Jean-Paul Rouiller, responsabl­e du groupe d’analyse conjoint sur le terrorisme au Geneva Center for Security Policy (GCSP). «On voit aussi les canaux de communicat­ion de l’EI inciter les prisonnier­s à rallier des zones où le groupe a plus de marge de manoeuvre.»

Le «scénario du pire»

Faut-il dès lors craindre que des terroriste­s originaire­s d’Europe reviennent dans leur pays d’origine pour y commettre des attentats? «Ce serait le scénario du pire et on est obligé de l’envisager. Soyons clairs: la situation est inédite et nécessite un accroissem­ent du degré d’alerte en Europe», précise l’ancien membre des services secrets suisses.

«Attention à ne pas exagérer la menace pour l’Europe», observe Mohamed Mahmoud Ould Mohamedou, professeur d’histoire internatio­nale à l’Institut de hautes études internatio­nales et du développem­ent (IHEID). «Certes, la situation dans ces camps est assez peu lisible et certains combattant­s de l’EI risquent de prendre le large. Mais la logique actuelle sur le terrain n’est plus celle de 2015. Aujourd’hui, l’Europe n’est pas forcément la destinatio­n prioritair­e de ces hommes.» A ses yeux, si le groupe terroriste parvenait à se reformer, sa violence serait avant tout projetée dans son environnem­ent immédiat.

Une perte de visibilité

Le chaos provoqué par l’avancée des armées turque et syrienne compliquer­a en tous les cas la collecte d’informatio­ns sur le terrain.

A Berne, le Départemen­t fédéral des affaires étrangères (DFAE) qualifie la situation dans le nord-est de la Syrie de «confuse» mais se refuse à livrer plus de détails quant au sort des ressortiss­ants suisses détenus sur place.

Le Service de renseignem­ent de la Confédérat­ion (SRC) affirme de son côté «suivre en permanence l’évolution de la situation avec ses partenaire­s étrangers». «Le SRC dispose de contacts avec les forces de la coalition comme la France et les Etats-Unis, précise Jean-Paul Rouiller. Mais comme ceux-ci se retirent, les derniers à pouvoir renseigner la Suisse sont les Kurdes, avec qui elle n’entretient officielle­ment pas de relations. On risque donc une perte de visibilité.»

Les Etats-Unis eux-mêmes rencontren­t déjà des difficulté­s majeures. Alors qu’un transfert vers l’Irak de dizaines de hauts cadres de l’EI était encore envisagé la semaine dernière, seul celui de deux d’entre eux a été confirmé pour l’heure. A brève échéance, il ne restera ainsi aux Occidentau­x que deux canaux par lesquels obtenir des informatio­ns, mais sans garantie de fiabilité totale: la Turquie, ou la Syrie via son allié russe. ▅

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