Loi sur la laïcité: corriger, oui! Etouffer, non!
Dans la foulée de la démission de la députée musulmane de Meyrin, Mme Sabine Tiguemounine, fin août, on aurait pu croire que les conflits suscités par la loi sur la laïcité de l'Etat (LLE), adoptée par les citoyens genevois le 10 février, étaient réglés. C'est oublier que la Cour constitutionnelle genevoise doit encore se prononcer sur les recours qui lui ont été adressés. Or, il est probable que la Cour constitutionnelle considère qu'une partie de cette loi n'est pas conforme au droit supérieur, notamment vis-à-vis de la liberté de croyance.
Les observateurs et juristes avisés suivant cette affaire s'attendent en effet à ce que l'alinéa interdisant les signes religieux pour les élus siégeant dans les organes législatifs soit déclaré anticonstitutionnel. Il faut dire que le Grand Conseil s'est égaré en ajoutant cet alinéa au dernier moment dans la mouture finale de la loi. On comprend mal comment on peut, dans un article qui traite de la neutralité de l'Etat, interdire le port de signes religieux à des élus qui siègent en tant que représentants du peuple.
L'enjeu du recours des évangéliques ne se limite toutefois pas à la question du port de signes religieux par des élus, car à d'autres endroits aussi, le choix des mots, parfois trop rigides, ne donne pas la souplesse nécessaire pour appliquer une laïcité pragmatique plutôt que dogmatique. Ainsi, quand la LLE impose des conditions strictes à l'ensemble des fonctionnaires de l'Etat, on va trop loin. La LLE utilise une terminologie plus stricte que les exigences de la loi sur l'instruction publique (LIP) envers les enseignants pour ce qui concerne le port de signes religieux, un domaine pourtant sensible.
On comprend en effet qu'à l'école, une plus grande prudence soit de rigueur. Mais pourquoi appliquer une norme aussi stricte à tous les fonctionnaires de la même manière, là où il faudrait des réponses adaptées au cas par cas? Soumettre un employé des TPG ou une gardienne de musée aux mêmes règles qu'un enseignant ne se justifie pas. De plus, cette norme a pour conséquence une discrimination indirecte envers nombre de croyants souhaitant exercer la fonction publique. Il envoie un message de non-tolérance aux croyants, un message contraire à la tradition d'ouverture et d'accueil attachée à la capitale des droits de l'homme.
Enfin, la LLE semble considérer que les manifestations cultuelles dans l'espace public pourraient menacer la paix religieuse et qu'il faille, sauf exceptions, les cantonner à la sphère privée. Une interdiction de principe difficile à comprendre. Sans parler des difficultés de mise en oeuvre. Quand le Grand Conseil doute, dans sa réponse à la Chambre constitutionnelle à propos du recours des évangéliques, que le baptême en plein air entre dans la définition légale du «culte», on se rend bien compte du casse-tête que ce serait pour l'État de devoir distinguer les évènements «cultuels» des évènements «non cultuels».
Si la LLE défend des principes louables et fondamentaux tels que la liberté de croyance, la paix religieuse et la neutralité de l'Etat et que, pour le reste, cette loi offre un certain nombre d'avancées et de clarifications bienvenues, ses articles 3 et 6 en revanche manquent la cible et sont en contradiction avec la culture genevoise de tolérance et d'accueil du pluralisme. Il appartient désormais à la Chambre constitutionnelle d'inviter le Grand Conseil et le Conseil d'Etat à ajuster cette loi.
On se rend bien compte du casse-tête que ce serait pour l’Etat genevois de devoir distinguer les évènements «cultuels» des évènements «non cultuels»
Les évangéliques, pour qui la défense de la liberté de croyance pour tous est une longue tradition, estiment que les différentes formes d'expression religieuse ne devraient pas être un tabou dans la Cité de Calvin. Au contraire, tout en respectant la neutralité religieuse de l'Etat, nous voulons croire que Genève est capable d'accueillir la diversité des croyances qui composent sa société avec bienveillance et fierté, et de favoriser un espace de liberté où les citoyens peuvent exprimer, échanger et vivre paisiblement leurs convictions en privé, mais aussi en public.
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