«Shaun le mouton»: une petite laine pour E.T.
L’ovin le plus irresponsable de la création revient sous la houlette du studio Aardman dans «La Ferme contre-attaque». Une rencontre du troisième type en pâte à modeler
La pâte à modeler est-elle hilarante? Oui, surtout lorsqu’elle est malaxée par le studio Aardman, de Bristol, le seul sachant tutoyer le nonsense à des hauteurs rarement atteintes depuis Lewis Carroll. En apéritif prégénérique, un mouton joue à l’orgue électronique le gimmick de Rencontres du troisième type, et l’on s’esclaffe déjà face à cet improbable ovin cherchant à entrer en contact avec une intelligence supérieure. Après une baisse de régime dans Cro Man, les géniaux inventeurs de Wallace & Gromit sont de retour au pinacle avec leur autre personnage, Shaun le mouton. Créé en 2007, l’inadapté laineux a déjà inspiré un premier long métrage (Shaun le mouton le film, 2015). Le voici de retour pour affronter une menace venue de l’espace…
Deux escargots qui broutent au sommet d’un toit rentrent leurs yeux pédonculés quand une lumière passe en rase-mottes dans le ciel anglais. Plus loin, un noctambule et son chien tombent sur une espèce de tridacne géant qui clignote dans une clairière. Ils s’enfuient en courant, laissant tomber un cornet de frites que l’Envahisseur bâfre, démontrant l’hypothèse scientifique selon laquelle les aliens aiment les frites.
Activités ineptes
Pendant ce temps, les habitants de la ferme coulent des jours paisibles. Le fermier rêve d’une nouvelle moissonneuse-batteuse. Les moutons vaquent à leurs activités ineptes. Bitzer, le chien de berger, veille à réfréner les ardeurs imbéciles de ses ouailles. Il plante aux quatre coins du domaine des panneaux «Interdiction de…» jouer à Guillaume Tell ou faire du saut en véhicules agricoles à partir d’un tremplin. Bref: les frisbees et les pizzas volent bas…
La cadence des gaffes et des dégâts augmente lorsque l’extraterrestre s’invite à la ferme. Il est petit, bleuté avec une tête piriforme, une truffe violette et des oreilles roses. C’est un enfant, il répond au nom de Lu-La, il est de sexe féminin et n’a pas son pareil pour engendrer le chaos. Il dévaste un supermarket, ingurgite trois sodas énergétiques d’un coup, émet le rot de l’Apocalypse qui retentit jusqu’au fond de l’Afrique et affole les sismographes des ufologues… Le temps de l’insouciance est bientôt révolu: une agence gouvernementale remonte la piste de Lu-La.
Escargot bicéphale
L’intrusion extraterrestre marque souvent une baisse d’inspiration – qu’on se souvienne d’un Astérix calamiteux (Le ciel lui tombe sur la tête). Chez Aardman, il s’agit juste d’une pirouette au 17e degré, d’un piment dans la moutonnade, d’un rab d’absurde. Comme E.T. naguère, Lu-La veut «go home», mais provoque davantage de dégâts que le petit naufragé spielbergien et rend le fermier chèvre. Les références aux classiques de la science-fiction ne manquent pas, on y entend Le Beau Danube bleu comme dans 2001 L’Odyssée de l’espace, ainsi que Also Sprach Zarathustra tandis qu’un toast monolithique sort d’un grille-pain.
Le charme irrésistible de Shaun le mouton, le film: La Ferme contre-attaque réside dans l’esthétique du studio britannique, qui perpétue une facture artisanale apaisante: la pâte à modeler est vivante, elle conserve des traces de doigts et revendique sa nature – Shaun serre si fort le volant de la moissonneuse qu’il le pétrit… La modestie du travail est au service d’un appétit insatiable pour l’absurde et de la phénoménale immaturité des personnages, qu’une scène exprime à la perfection: Shaun pianote sur l’ordinateur de l’ovni pour se dégotter un truc à croquer. L’écran propose une platée de nouilles aux globes oculaires: beurk! Un suprême d’escargot bicéphale: beurk! Un brocoli: BEURK!!!
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Shaun le mouton, le film: La
Ferme contre-attaque (A Shaun the Sheep Movie: Farmageddon), de Will Becher, Richard Phelan (GrandeBretagne, 2019), 1h30.