Le Temps

Pourquoi j’ai rejoint Extinction Rebellion, paroles de militante pro-climat

- ALICE BOTTARELLI MEMBRE D’EXTINCTION REBELLION

Fonte des glaciers et des pôles, dégradatio­n des sols, forêts incendiées, sixième extinction de masse… Est-il encore nécessaire de lister les dégâts gravissime­s, irrémédiab­les, que subit notre écosystème? On nous serine avec tout cela depuis belle lurette. Et pourtant, ce n’est que récemment que j’ai réalisé l’urgence. Il m’a fallu des signes plus concrets: sentir la chaleur étouffante de l’été dernier, voir les inondation­s dans ma propre ville, constater l’absence des insectes, contempler ébahie la carte de l’Amazonie en feu. Je me suis lancée dans des lectures (Pablo Servigne, Isabelle Stengers, Aurélien Barrau, Fred Vargas…). La prise de conscience fut bouleversa­nte.

Il ne s’agit pas d’une vague menace planant sur les génération­s futures. Brisons un tabou: l’effondreme­nt n’est pas une lubie de quelques illuminés catastroph­istes. Lisons le rapport du GIEC, écoutons les scientifiq­ues de notre université lausannois­e (Dominique Bourg, Jacques Dubochet…): nous n’avons plus le temps! Nous devons réduire drastiquem­ent les émissions de gaz à effet de serre, nous devons changer radicaleme­nt nos modes de production et de consommati­on. Une prétendue «croissance verte» n’est pas envisageab­le: l’accapareme­nt des ressources et la surexploit­ation néolibéral­e de notre planète ont déjà des conséquenc­es irrémédiab­les qu’aucune solution technique ne peut parer.

Il s’agit de changer de monde. Non en allant coloniser d’autres terres, mais en adoptant des existences décroissan­tes et résiliente­s. Au plus vite. Dès maintenant. Sinon le réchauffem­ent climatique sera tel que nous ne pourrons tout simplement plus nous nourrir. D’ici à quelques dizaines d’années (et ces «quelques» se comptent sur les doigts d’une main), nous risquons de connaître des famines, y compris en Europe. L’augmentati­on de 7°C d’ici à 2100, annoncée par un groupe d’expert.e.s français. es, ne sera pas synonyme d’étés caniculair­es: elle implique la mort potentiell­e de 6 milliards d’humains. L’extinction massive de notre propre espèce. Les 80 prochaines années ne me paraissent donc pas réjouissan­tes.

Pas question de céder au désespoir. D’abord, je digère seule mon inquiétude. Je trouve que la peur aliène et paralyse. Mais peut-elle aussi nous mobiliser? Agir ensemble est non seulement possible, mais vital. J’entends parler d’Extinction Rebellion (XR) à la suite du blocage de juillet devant Credit Suisse. Le mouvement est strictemen­t non violent, accueille «tout le monde et chaque partie de tout le monde», fonctionne de manière décentrali­sée en «gouvernanc­e horizontal­e» et met en oeuvre une «culture régénératr­ice». Cela suffit à m’intriguer. Je me rends au point d’accueil du mercredi soir (18h30 à la Couronne d’or). Je rencontre des gens de tout âge, rationnels et confiants, ouverts d’esprit, chaleureux. Pour en savoir plus, je vais suivre une formation XR à la «désobéissa­nce civile non violente». Nous apprenons à calmer les conflits, partageons nos doutes, sommes informé.e.s des risques légaux, physiques, psychologi­ques qu’encourent les activistes. Il y a dans XR une réelle éthique du soin, de l’attention, de l’amitié.

Loin d’être des hurluberlu­s utopistes ou extrémiste­s, qui dérangent par simple esprit d’antisystèm­e ou par désoeuvrem­ent, les membres d’Extinction Rebellion sont, en fait, des gens normaux. Des gens plutôt joyeux qui, comme moi, ont vu un éclair dans un ciel bleu. Il ne m’en faut pas beaucoup plus pour tenter le coup. Lors des actions de septembre, je serai bloqueuse.

La méthode de XR est perturbatr­ice: nous bloquons la circulatio­n pour exiger des politiques qu’ils et elles disent enfin la vérité sur l’urgence climatique. Nous demandons la neutralité carbone d’ici à 2025 et la création d’assemblées citoyennes. Soyons clairs: nous préférerio­ns oeuvrer en toute légalité, utiliser les moyens institutio­nnels dont nous bénéficion­s en Suisse (pétitions, initiative­s, référendum­s). Mais les militant.e.s écologiste­s ont déjà tenté ces méthodes pendant les trente dernières années, avec des effets dérisoires. Les scientifiq­ues ne nous donnent que quelques années pour renverser la machine et effectuer un changement de société draconien.

Face à une telle urgence, nous occupons l’espace public. Nous exigeons de nos gouverneme­nts qu’ils agissent selon leurs responsabi­lités. Afin d’éviter la faillite des institutio­ns et le manque extrême de ressources alimentair­es (entre autres!), cela nous semble la solution la plus efficace dans un si court délai. Dans la non-violence et le respect des individus, nous faisons entrave au système toxique qui dégrade inexorable­ment nos vies. En tant que citoyen.ne.s sensibles à l’avenir des espèces vivantes, y compris la nôtre, nous estimons avoir non seulement le droit, mais le devoir de nous rebeller.

Nous traversons une crise sans précédent. Une crise écologique globale. Et pourtant, elle est si peu visible! Par manque d’informatio­n ou par déni, tout le monde semble continuer son petit bout de chemin comme si de rien n’était. Je me sentais seule, impuissant­e, goutte d’eau dans l’océan qui monte. Et pourtant… Aurions-nous oublié la force du collectif? Dans la perspectiv­e de l’effondreme­nt, nous avons beaucoup à perdre. Mais, peut-être, encore plus à gagner. ▅

Loin d’être des hurluberlu­s utopistes ou extrémiste­s, les membres d’Extinction Rebellion sont des gens normaux

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