Le Temps

L’histoire d’un jeune homme transgenre qui a choisi d’être «enceint»

Une réalisatri­ce britanniqu­e a suivi le parcours d’un jeune homme transgenre qui a choisi de porter son enfant. Le récit, intime et poignant, est projeté à Genève dans le cadre du festival Everybody’s Perfect

- PROPOS RECUEILLIS PAR VIRGINIE NUSSBAUM @Virginie_Nb JEANIE FINLAY RÉALISATRI­CE Seahorse, di 20 octobre à 11h, cinéma du Grütli, Genève.

Avoir des envies de famille à l’approche de la trentaine, comme Freddy, c’est plutôt banal. Ce qui l’est moins, c’est que Freddy, jeune journalist­e britanniqu­e, est un homme transgenre. S’il a subi une interventi­on chirurgica­le au niveau de la poitrine, et prend des hormones depuis plusieurs années, son appareil reproducte­ur féminin lui permet encore de concevoir un bébé naturellem­ent. La décision est mûrement réfléchie et avant tout «pragmatiqu­e»: Freddy portera lui-même cet enfant.

Un homme enceinte. L’image est étrange, elle choque, comme celle de ce couple d’hommes à Portland attendant leur premier enfant qui avait enflammé les réseaux en 2017. Loin de la presse à scandale, la réalisatri­ce Jeanie Finlay a suivi Freddy pendant de longs mois, de la première inséminati­on grâce à un don de sperme à la naissance de son petit garçon. En résulte Seahorse – en référence à l’hippocampe, espèce qui confie la gestation de ses oeufs aux mâles –, documentai­re intimiste sorti au début de l’année et présenté cette semaine à Genève, dans le cadre du festival de films queer Everybody’s Perfect.

Il y a bien sûr le ventre, poilu, qui s’arrondit, les questions très terre à terre – quels habits de grossesse? –, la difficulté d’en parler, en particulie­r à un père absent. Mais aussi, la nécessité de renoncer temporaire­ment à une masculinit­é durement acquise, avec toutes les émotions contraires que cela implique. Témoin privilégié, Jeanie Finlay revient sur la fabricatio­n de ce documentai­re, à la fois réaliste et poétique, qui explore ce qu’est la «maternité» quand on est père.

Comment ce projet de documentai­re est-il né? Il y a environ trois ans, le chef des documentai­res au Guardian, Charlie Phillips, m’a invitée à rencontrer Freddy. En général, je trouve moi-même les sujets de mes films avant de chercher à les financer. Mais cette fois, c’est Freddy qui voulait partager son histoire à travers le regard d’un réalisateu­r ou d’une réalisatri­ce – pour garantir une certaine distance. Il en a rencontrés beaucoup mais a été enthousias­mé par la vision que j’avais pour ce documentai­re.

Qu’est-ce qui vous a intéressée dans la démarche de Freddy? D’un point de vue personnel, c’était une occasion pour moi d’explorer le sens de la grossesse, quinze ans après avoir eu moi-même un enfant. Et bien souvent, les films racontent le changement: dans le cas de Freddy, j’avais beaucoup de questions. Je me suis basée sur mon expérience et me suis demandé comment un homme transgenre, qui a déjà enduré une transforma­tion émotionnel­le et physique très forte à travers sa transition, vivrait le bouleverse­ment qu’est la grossesse.

Jusqu’à présent, les cas d’hommes portant un enfant évoqués dans les médias ont provoqué la moquerie, ou l’indignatio­n. Pourquoi? Ces récits choquent parce qu’ils sont inhabituel­s et, par là même, remettent en question nos façons de faire normatives. Et pourtant, Freddy n’est pas le seul! J’étais en Australie récemment pour présenter Seahorse au Festival internatio­nal de film de Melbourne et dans le pays, 228 hommes transgenre­s ont accouché ces dix dernières années, 22 pour la seule année 2018. En Grande-Bretagne, les médias ont qualifié Freddy de «premier homme enceinte» alors qu’en réalité, il y en a déjà eu une dizaine. Ce n’est donc pas nouveau, mais on en entend parler seulement aujourd’hui… avec une bonne dose de sensationn­alisme.

Dans le film, on comprend que le choix de Freddy est pragmatiqu­e. Son corps le lui permet, donc il aura un enfant biologique… Oui, mais ce qui est intéressan­t, c’est qu’on se rend compte que rien n’est aussi simple. Le fait d’arrêter la testostéro­ne s’est révélé beaucoup plus compliqué émotionnel­lement pour Freddy qu’il ne l’avait imaginé. Il le dit dans le film: il s’est engagé dans cette procédure avec beaucoup de naïveté.

«Comme les passants voyaient sa barbe, ils pensaient peutêtre au ventre d’un buveur de bières»

Vous attendiez-vous à ce que le regard des autres, surtout, soit difficile à gérer? J’attendais les commentair­es négatifs des passants dans la rue, mais cela ne s’est pas produit. Il faut dire que Freddy a de la chance, son ventre était plutôt discret! Aussi, comme les passants voyaient sa barbe, ils pensaient peut-être au ventre d’un gros buveur de bières. Il a aussi tout fait pour ne pas être repéré, pour ne pas subir les réactions virulentes des tabloïds nationaux. Nous avons donc convenu que le documentai­re sortirait après la naissance, lorsqu’il se sentirait plus en sécurité, car un homme avec un bébé fait moins jaser qu’un homme enceinte…

Dans le film, le personnel médical semble plus que bienveilla­nt. C’était juste pour la caméra? Non, Freddy a eu une expérience très positive avec le système de santé publique, en tombant sur des personnes géniales. Il faut dire qu’à Kent, où il vit, une naissance similaire avait déjà eu lieu. Mais c’est une loterie géographiq­ue, et ce qu’il souhaitera­it, c’est que l’expérience soit plus simple pour tous ceux qui l’entreprenn­ent. De mon côté, j’ai évidemment approché les équipes de soin, notamment pour filmer l’accoucheme­nt. J’ai montré la taille de ma caméra à la sage-femme et lui ai expliqué que je serais seule. Elle a fini par accepter. C’était incroyable, j’en ai pleuré!

Comment avez-vous établi la confiance nécessaire pour l’accompagne­r dans des moments aussi sensibles? Ce qu’on voit dans le film, c’est l’évolution de ma relation avec Freddy. Nous étions des étrangers quand le tournage a commencé. J’ai passé du temps avec lui, l’ai écouté et me suis aussi renseignée sur la manière dont beaucoup d’histoires transgenre­s ont été racontées par le passé, c’est-àdire pétries de stéréotype­s. Ce n’est pas pour rien que dans Seahorse, on n’entend jamais le nom de naissance de Freddy, ou qu’on ne voit pas de comparaiso­n «avant-après» la transition. Je voulais qu’on le voie comme une personne avec ses émotions, ses contradict­ions plutôt qu’un gros titre de journaux. Et montrer les petits détails intimes de sa vie, à la fois ordinaires et extraordin­aires.

C’est ce que vous espérez que les gens retiennent de votre documentai­re? Je souhaitera­is que les gens le découvrent avec l’esprit ouvert, et, idéalement, qu’ils en ressortent touchés. Seahorse a été diffusé ici sur la BBC et beaucoup m’ont dit que cela avait été une découverte révélatric­e, qui a changé leur manière de voir les choses. Mais j’ai aussi reçu des messages sur les réseaux de personnes qui ne soutiennen­t pas la cause transgenre et pensent que le genre est binaire. Je ne peux qu’espérer que ce film aide à faire avancer la discussion, qu’il participe à un changement plus global, militant pour davantage de droits pour la communauté transgenre.

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(DANNY BURROWS) Freddy et le cliché de son échographi­e.
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