«Coeur minéral», un sévère réquisitoire contre le pillage de l’Afrique
Le Genevois Jérôme Richer et une troupe d’acteurs africains mettent en lumière les mécanismes d’une exploitation implacable, à Genève ces jours, avant Conakry, Vevey et Montréal
Comment faire écho à une stupeur africaine qui ne passe pas? A la violence routinière d’une dépossession, d’un vol si bien organisé qu’il en paraît légitime? Le Genevois Jérôme Richer a trouvé la forme qui sied au Théâtre Pitoëff, à Genève ces jours, avant l’Oriental à Vevey, Conakry et Montréal. Il entraîne six acteurs guinéens et camerounais au bord d’une plaie, celle qui hante Coeur minéral, texte de l’auteur canadien Martin Bellemare.
Coeur minéral est l’histoire d’une résistance. Et d’une défaite. On assiste à cela qui est en soi l’esprit du spectacle. Un jeune Canadien d’origine guinéenne s’emploie à convaincre le chef d’un village de la nécessité de forer le sol, pour en extraire la bauxite, cette pierre rouge sang. Il fait miroiter au hiérarque une prospérité partagée. Mais celui-ci ne s’en laisse pas conter: «Nous ne bougerons pas.»
La réplique a du panache, mais elle ne porte pas. Martin Bellemare met au jour la vampirisation d’un monde. Des multinationales poursuivent, avec la bénédiction des dirigeants locaux, le travail des colonisateurs. Sur les planches, les comédiens africains ont parfois la dignité d’un coryphée antique, celui qui convertit une juste colère en sentence. L’un tonne: «La mine use les gens, après, elle les jette.»
A un autre moment, et c’est la séquence la plus poignante de la soirée, deux hommes éberlués regardent passer un train tout près de là, 25 wagons chargés du précieux minerai. Mais le convoi revient, allégé. «Ils ont vidé les wagons pour envoyer notre bauxite ailleurs.»
Coeur minéral convainc-t-il entièrement? Non. Le sujet secoue, mais la pièce souffre d’engorgement: l’auteur additionne, en procureur scrupuleux, les données et néglige le scénario.
Cela serait fastidieux si Jérôme Richer et ses interprètes ne desserraient pas les mailles du réquisitoire, histoire d’y introduire une urgence, c’est-à-dire un rythme, une musicalité, une variété de registres, un plaisir de jeu en somme. Morciré Bangoura, Ashille Constantin et leur bande mobilisent la panoplie théâtrale, alternant face-à-face dramatique, bourlingue poétique, incantation chorale devant un décor aussi minimal qu’élégant – des fûts en bois, autant de tombes peut-être.
On écoute alors battre ce Coeur minéral qui a pris forme à l’automne 2017 à Conakry, raconte Jérôme Richer. Cette année-là, la mégapole guinéenne est la capitale du livre, désignée par l’Unesco. «Le festival Univers des mots a invité neuf auteurs à écrire sur le thème des «Migr’actions». Martin Bellemare était l’un d’eux. Parallèlement, ils ont demandé à des metteurs en scène d’accoucher ces oeuvres sur les planches. Ils m’ont attribué le texte de Martin. Nous l’avons fait résonner une première fois à Conakry. J’ai eu envie d’en faire un vrai spectacle joué dans toute la francophonie, en Guinée, à Limoge au Festival des francophonies en Limousin, en Suisse et à Montréal.»
Ce Coeur minéral est porté par des artistes qui, pour la première fois, peuvent se consacrer pleinement aux planches – à Conakry, ils exercent mille autres métiers. Il éclate en morceaux brûlants. Jérôme Richer veut croire que les fictions sont des feux d’alerte dans nos vies rangées. Au fond du puits, un monde brûle.
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«Coeur minéral» est l’histoire d’une résistance. Et d’une défaite
Coeur minéral, Genève, Théâtre Pitoëff, jusqu’au 20 octobre; puis Vevey, Oriental, du 27 novembre au 1er décembre. https://www.compagniedesombres.ch