Le Temps

Brexit: l’heure du grand dénouement

BREXIT Le parti DUP d’Irlande du Nord semble bloquer un accord. Et même si le sommet européen trouve une solution, un report du Brexit au-delà du 31 octobre est probable

- ÉRIC ALBERT, LONDRES @IciLondres

A deux semaines de la date prévue du divorce, le Conseil européen se réunit aujourd’hui et demain pour tenter de trouver un accord

■ Après un marathon de pourparler­s entre négociateu­rs britanniqu­es et européens, le risque d’un «no deal» demeure

■ Comment les entreprise­s se préparent-elles à tous les scénarios, y compris au pire, au Royaume-Uni, en France et en Suisse?

14h21, ce mercredi. Depuis bientôt une semaine, les négociateu­rs européens et britanniqu­es du Brexit sont entrés dans le «tunnel», expression de technocrat­es pour désigner une période de négociatio­ns intensives et sérieuses, quand aucune des deux parties n’organise de fuite d’informatio­ns. Le sommet européen de ces jeudi et vendredi, qui s’annonce une nouvelle fois «crucial», débute moins de vingt-quatre heures plus tard et tout le monde est suspendu aux résultats des pourparler­s.

Soudain, sur Twitter, Tony Connelly, le très informé correspond­ant à Bruxelles de la RTE, le groupe audiovisue­l public irlandais, annonce la nouvelle: «D’après deux sources européenne­s […] le DUP a accepté les dernières propositio­ns [sur le Brexit].» Si c’était confirmé, l’informatio­n serait essentiell­e: le Democratic Unionist Party, parti unioniste d’Irlande du Nord, est le principal obstacle à un accord.

«N’importe quoi»

14h34, treize minutes plus tard. Arlene Foster, qui dirige le DUP, réplique sans ambiguïté sur le même réseau social. «Ces «sources de l’UE» disent n’importe quoi. Les discussion­s continuent.»

Donald Tusk, le président du Conseil européen, semble lui-même ne plus savoir que croire. «Hier soir, j’étais prêt à parier qu’on aurait un accord. Aujourd’hui, de nouveaux doutes sont apparus du côté britanniqu­e. Tout semble aller dans la bonne direction, mais vous aurez constaté qu’avec le Brexit, et surtout avec nos partenaire­s britanniqu­es, tout est possible.»

Alors que Le Temps bouclait son édition mercredi soir, un accord n’avait toujours pas été trouvé, mais il restait possible. Une fois encore, le DUP est le principal obstacle.

Pour la première fois depuis qu’il a pris la tête du gouverneme­nt britanniqu­e fin juillet, Boris Johnson s’est mis à sérieuseme­nt négocier. Sa rencontre avec les Vingt-Sept à Bruxelles jeudi et vendredi pourrait débloquer la situation.

Quelle que soit l’issue du sommet, ce ne sera pourtant pas la fin du processus. D’abord parce que la Chambre des communes a encore son mot à dire, et qu’une majorité demeure très incertaine. Ensuite parce que le temps qu’il reste jusqu’au 31 octobre, date prévue pour le Brexit, est trop court pour boucler le processus de ratificati­on. «Dans tous les cas, on se dirige vers un report de cette date», estime Meg Russell, professeur­e de politique et de droit constituti­onnel à University College London.

Les discussion­s de ces derniers jours étaient d’ordre politique. En cas d’accord, il va falloir les traduire en un texte légal. C’est celui-là que la Chambre des communes et le Parlement européen devront ratifier.

«Il n’y a plus assez de temps pour que le texte légal soit prêt pour le sommet européen», estime Simon Usherwood, politologu­e à l’Université du Surrey. Il rappelle que, à l’automne 2018, quand l’ancienne première ministre britanniqu­e, Theresa May, avait trouvé un accord avec Michel Barnier, le négociateu­r européen, il s’était écoulé treize jours avant le sommet européen qui l’avait approuvé officielle­ment.

Par ailleurs, l’équilibre politique du parlement britanniqu­e est toujours aussi précaire. Boris Johnson dispose d’une majorité négative de -43 députés depuis qu’il a expulsé de son parti vingt et un parlementa­ires qui avaient voté contre lui début septembre. Theresa May, sa prédécesse­ure, a essuyé trois revers cuisants sur son accord, alors qu’elle avait une légère majorité. L’actuel premier ministre peut-il réussir le tour de passe-passe?

«Possible, mais pas facile», répond Tim Bale, politologu­e à l’Université Queen Mary. «Je suis sceptique», ajoute Meg Russell.

Soutien

La clé de voûte du calcul de Boris Johnson est le DUP. Ce petit parti unioniste (protestant nord-irlandais qui veut rester dans le RoyaumeUni) n’a que dix députés, mais il s’est imposé comme le garant de l’intégrité du pays, refusant systématiq­uement toute frontière douanière ou réglementa­ire entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord. S’il décide de soutenir l’accord, l’aile droite du Parti conservate­ur, les brexiters les plus durs, devrait se ranger derrière lui.

En faisant le plein des voix sur sa droite, Boris Johnson n’aura pour autant pas encore une majorité. Il lui faut obtenir le soutien des députés qu’il a expulsés le mois dernier. La plupart d’entre eux avaient soutenu l’accord de Theresa May et pourraient être tentés de trouver ainsi une façon de revenir dans le Parti conservate­ur. Mais certains pourraient au contraire choisir de se venger, faisant tout pour affaiblir l’actuel premier ministre.

Enfin, une poignée de rebelles travaillis­tes pourraient faire la différence. Mais soutenir l’accord de Boris Johnson, ce serait faire un immense cadeau à un adversaire politique qu’ils détestent.

Les députés ont d’autant moins de raisons de venir en aide à Boris Johnson qu’ils ont pour eux une loi qui

«Vous aurez constaté qu’avec le Brexit et, surtout avec nos partenaire­s britanniqu­es, tout est possible» DONALD TUSK,

PRÉSIDENT DU CONSEIL EUROPÉEN

oblige le gouverneme­nt à demander un report du Brexit s’il n’y a pas d’accord approuvé d’ici à samedi. Boris Johnson clame haut et fort qu’il préfère «mourir dans un fossé» plutôt que de demander une extension, mais, légalement, il n’a pas le choix.

D’autant que, là encore, les contrainte­s techniques plaident pour un report au-delà du 31 octobre. La Chambre des communes pourrait se réunir ce samedi – une première depuis la guerre des Malouines, en 1982. Dans le meilleur des cas, elle pourrait approuver une motion politique soutenant l’accord arraché par Boris Johnson. Mais ensuite, il faudra présenter au parlement un texte légal, qui devra passer par la Chambre des lords et les différents comités parlementa­ires. «Impossible de faire ça en dix jours [avant le 31 octobre]», estime Meg Russell.

Dans un tel scénario, le premier ministre britanniqu­e demanderai­t un report le plus court possible, qu’il présentera­it comme une simple affaire technique. Les Européens accepterai­ent-ils? Poseraient-ils des conditions? Dans cette affaire particuliè­rement fragile, chaque mouvement supplément­aire risque de faire dérailler le train de l’accord.

Jamais à court de métaphores, Boris Johnson estimait mercredi devant les députés conservate­urs que les discussion­s du Brexit se trouvaient au niveau du «ressaut Hillary», la dernière sérieuse difficulté de l’ascension du mont Everest, peu avant le sommet. Pas de chance pour lui, l’amas rocheux s’est effondré l’an dernier.

 ??  ?? Lors d’une manifestat­ion anti-Brexit à Carrickcar­nan, à la frontière irlandaise, où se focalisent toutes les tensions.
Lors d’une manifestat­ion anti-Brexit à Carrickcar­nan, à la frontière irlandaise, où se focalisent toutes les tensions.
 ??  ?? BORIS JOHNSON PREMIER MINISTRE DU ROYAUME-UNI
BORIS JOHNSON PREMIER MINISTRE DU ROYAUME-UNI

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland