Le Temps

Le talon d’Achille d’Elizabeth Warren

Avec un Bernie Sanders affaibli par une crise cardiaque et un Joe Biden happé par le scandale ukrainien, la candidate démocrate a le vent en poupe. Mais elle risque d’être trop à gauche pour affronter le président américain l’an prochain

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D @VdeGraffen­ried

La campagne présidenti­elle américaine ressemble toujours plus à une mer agitée avec de violents courants. Un président menacé par une procédure de destitutio­n, Joe Biden, le démocrate jusqu’ici favori des sondages, éclaboussé par l’«affaire ukrainienn­e», Bernie Sanders qui se remet d’une crise cardiaque et, en tout, 12 candidats démocrates qui peuvent encore se voler dans les plumes lors d’un débat télévisé. Dans ce contexte électrique, une personne est en train de prendre l’avantage: la sénatrice du Massachuse­tts Elizabeth Warren, avocate de la classe moyenne.

Dans les sondages, elle arrive désormais en deuxième position. Et dépasse parfois même Joe Biden. Elle a de nombreux avantages par rapport à l’ex-vice-président, sous Barack Obama: Elizabeth Warren est plus jeune – 70 ans contre 76 –, n’est pas confuse, elle ne peut pas être accusée d’être trop tactile avec les femmes et n’a pas de fils gênant ayant travaillé dans une société gazière ukrainienn­e. Elle sait aussi faire face aux attaques violentes de Donald Trump. Joe Biden tangue un peu. Elizabeth Warren a, au contraire, le vent en poupe.

Elle apparaît donc comme l’une des grandes favorites pour remporter la primaire démocrate. Verra-t-on enfin une femme à la Maison-Blanche? Pour les démocrates, le choix sera difficile. Car plus qu’élire le meilleur candidat, il s’agira surtout de faire un choix tactique: voter en faveur de celui ou celle qui sera le plus à même de vaincre Donald Trump. Faut-il une personnali­té très marquée à gauche qui représente l’antithèse du président? Ou, au contraire, un candidat, plus centriste et consensuel, capable de séduire des républicai­ns déçus par Donald Trump? Le principal défaut d’Elizabeth Warren pourrait bien être celui d’être trop à gauche.

Elle représente l’aile progressis­te des démocrates, celle qui a donné du grain à moudre à la présidente de la Chambre des représenta­nts, Nancy Pelosi. Ancré plus à gauche, le «socialiste» Bernie Sanders tente encore de lui faire de l’ombre. Il peut compter sur le soutien de trois jeunes élues, iconiques et très combatives, qui réclament depuis longtemps la destitutio­n de Donald Trump, même si elle n’a quasiment aucune chance d’aboutir à cause de la majorité républicai­ne au Sénat. Mais si le sénateur devait abandonner la course, ses voix se reporterai­ent principale­ment sur elle.

Elizabeth Warren a «un plan» et elle incarne, certes, une sorte de renouveau par rapport à Joe Biden. Mais si les primaires peuvent avantager les candidats à gauche, la balle a tendance à se jouer plus au centre lors de l’élection présidenti­elle. Le centrisme de Joe Biden, qui cultive sa fibre populaire et soigne son électorat afro-américain, pourrait donc au final se révéler plus «rassurant» dans une Amérique divisée qui veut panser ses plaies.

Lors de l’élection présidenti­elle, la balle a tendance à se jouer au centre

Elizabeth Warren avait tout pour arriver sereine à l’Université d’Otterbein, à Westervill­e (Ohio), où s’est déroulé, mardi soir, le quatrième débat télévisé des candidats à l’investitur­e démocrate pour la présidenti­elle de 2020. Pendant qu’elle grimpe dans les sondages, son principal rival, Joe Biden, pris dans la tempête de l’«affaire ukrainienn­e», perd des points et Bernie Sanders se remet tout juste d’une crise cardiaque. Un alignement des planètes favorable? Pour l’instant, oui. Mais devenir la favorite signifie aussi subir plus d’attaques. C’est ce que la sénatrice a expériment­é mardi soir.

A Westervill­e, petite localité proche de Columbus, dans un Etat-pivot qui a voté pour Donald Trump en 2016, 12 candidats se sont affrontés. Mais les yeux étaient rivés sur le trio de tête. Elizabeth Warren, 70 ans, a désormais le vent en poupe et sait qu’elle peut faire la différence. Elle s’était déjà rendue en mai dans l’Ohio, Etat que les démocrates tentent de regagner. Et aujourd’hui, dans plusieurs sondages, elle dépasse Joe Biden, de six ans son aîné, dans les intentions de vote. Elle est en tout cas clairement devant Bernie Sanders. RealClearP­olitics, qui calcule la moyenne des différents sondages, la crédite de 23,4% des intentions de vote, contre encore 29,4% pour Joe Biden.

Réponse à presque tout

Mais peu importent les chiffres. Mardi soir, elle était clairement la femme à abattre. Ses rivaux ne l’ont pas épargnée, qualifiant tour à tour ses mesures sur la santé ou sur l’imposition des grandes fortunes de «vagues», «punitives», «peu honnêtes» ou «irréaliste­s». Elizabeth Warren s’y attendait. Elle avait réponse à presque tout et n’a pas perdu son calme. C’est précisémen­t sa capacité à résister aux coups qui lui permet de faire face aussi aux attaques de Donald Trump, qui l’affuble souvent du surnom «Pocahontas».

«Je suis un peu fatiguée – je dois le dire – de voir des gens défendre un système de santé dysfonctio­nnel, cruel, avec 87 millions de personnes non assurées et 30000 personnes qui meurent chaque année», a-t-elle répondu en défendant son projet d’assurance santé. Elle a notamment dû répondre à la candidate centriste Amy Klobuchar, qui l’a attaquée sur la hausse d’impôts que sa promesse d’assurance santé publique universell­e allait provoquer. «Bernie a été honnête en admettant que les impôts allaient augmenter. Désolée Elizabeth, mais vous, vous n’avez pas dit ça», lui a reproché Amy Klobuchar.

La sénatrice Kamala Harris a cherché à l’épingler dans un autre domaine. Pourquoi ne veut-elle pas se prononcer en faveur de la fermeture du compte Twitter du président? Elizabeth Warren, toujours très clame, s’en est tirée avec une pirouette: «Je ne veux pas le voir quitter Twitter, je veux le voir partir de la Maison-Blanche!»

Elle est la première à s’être exprimée sur le grand thème du moment qui phagocyte presque les programmes des démocrates, la procédure d’impeachmen­t contre Donald Trump, dont Joe Biden est indirectem­ent à l’origine. Le coup de fil du 25 juillet entre le président américain et son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky, dans lequel il lui a demandé d’enquêter sur Hunter Biden, qui a travaillé pour une société gazière ukrainienn­e soupçonnée de corruption alors que son père était vice-président sous Barack Obama, a suscité l’ire des démocrates. Sur ce thème, les 12 candidats étaient unanimes.

Ces zones d’ombre ternissent l’image de Joe Biden, déjà critiqué pour ses hésitation­s et changement­s d’opinion, et profitent à Elizabeth Warren. L’ancienne professeur­e de droit à Harvard issue d’un milieu modeste incarne l’aile progressis­te du parti, après avoir goûté un temps au Parti républicai­n. Si Bernie Sanders, encore plus à gauche, venait à renoncer à sa candidatur­e ou à se montrer moins combatif – pour l’instant il démontre au contraire qu’il ne veut rien lâcher et peut compter sur le soutien de jeunes élues devenues iconiques –, Elizabeth Warren pourrait bénéficier des voix de ses inconditio­nnels.

La candidate a objectivem­ent de bonnes chances de remporter la primaire. Mais les démocrates doivent surtout se demander si elle est la mieux placée pour ravir la place de Donald Trump. N’est-elle pas trop progressis­te? Un candidat au profil plus centriste et consensuel ne représente­rait-il pas un avantage? C’est ce choix difficile que les démocrates devront faire pour mettre le plus de chances de leurs côtés.

Facebook pris à partie

Elizabeth Warren continue en tout cas sur sa lancée. Ces derniers jours, la sénatrice, épouvantai­l de Wall Street et férue des réseaux sociaux, est devenue plus incisive. Elle s’en est prise à Mark Zuckerberg: elle accuse Facebook de soutenir Donald Trump et a été jusqu’à poster volontaire­ment une fausse publicité l’affirmant, pour prouver que les contrôles étaient faibles. Une vidéo, dans laquelle elle répond avec humour à une question sur le mariage gay, est aussi devenue virale. Près de 24 millions de vues en quelques heures.

Mais la candidate, qui s’adonne aux selfies avec ses fans, a aussi ses faiblesses. Elle a été critiquée pour avoir maladroite­ment revendiqué ses racines cherokees. Un test ADN a démontré que ses origines amérindien­nes étaient presque inexistant­es. Et, comme le souligne le New York Times, elle ne bénéficie pour l’instant du soutien officiel d’aucun gouverneur, maire de grande ville ou de sénateurs en dehors de son Etat du Massachuse­tts.

«Bernie a été honnête en admettant que les impôts allaient augmenter. Désolée Elizabeth, mais vous, vous n’avez pas dit ça» AMY KLOBUCHAR, CANDIDATE CENTRISTE

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(AARON JOSEFCZYK/REUTERS) Elizabeth Warren: «Je suis un peu fatiguée – je dois le dire – de voir des gens défendre un système de santé dysfonctio­nnel.»

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