Le Temps

Le défi surhumain d’un alpiniste népalais

L’alpiniste népalais Nirmal Purja a déjà grimpé 13 des 14 sommets de plus de 8000 mètres en l’espace de six mois, ce qui ne lui vaut pas que des louanges. Rencontre à Katmandou, avant son ultime ascension: le Shishapang­ma au Tibet

- CAMILLE BELSOEUR, KATMANDOU

HIMALAYA Gravir les quatorze 8000 en sept mois: c’est le pari fou que Nirmal Purja est en passe de réussir. Après avoir vaincu le Manaslu en septembre, le 13e pic de sa série, il va s’attaquer au Shishapang­ma, dernier acte de son incroyable défi.

A l’intérieur de l’impeccable hôtel Marriott, situé à la lisière du lacis de ruelles du quartier de Thamel, la casquette vissée sur le crâne de Nirmal Purja porte les traces poussiéreu­ses de la saison sèche qui s’est emparée de Katmandou en cette mi-octobre.

A 1200 mètres d’altitude, la températur­e est idéale malgré la pollution, mais là-haut, dans la chaîne de l’Himalaya, les prémices de l’hiver se font déjà sentir sur les sommets. «Je garde la forme en faisant des footings», sourit celui que l’on surnomme «Nims». L’alpiniste népalais n’est plus qu’à une étape de réussir son fou défi: grimper les 14 sommets de plus de 8000 mètres en sept mois, d’avril à octobre. Du jamais-vu en termes de rapidité.

Après avoir avalé le Cho Oyu et le Manaslu en septembre, les douzième et treizième pics de sa série, il va s’attaquer au Shishapang­ma pour boucler son Project Possible 14/7. Le grimpeur et son équipe viennent tout juste d’obtenir l’autorisati­on officielle des autorités chinoises pour gravir sur le versant tibétain ce s0mmet qui culmine à 8027 mètres. Sa tentative de record, qui soulève l’enthousias­me au Népal, est cependant l’objet de critiques de certains himalayist­es qui lui reprochent l’usage de bouteilles d’oxygène en haute altitude, et d’hélicoptèr­es pour relier les camps de base. Des critiques auxquelles il répond avec véhémence.

Comment estimez-vous la difficulté de l’ascension du Shishapang­ma en comparaiso­n des 8000? Contrairem­ent au Népal, les camps de base sont déjà à haute altitude sur le plateau tibétain et, ensuite, ce sont souvent des pentes relativeme­nt faciles à grimper.

La route normale du Shishapang­ma n’est pas très difficile. Mais selon les derniers relevés météo, il y a déjà beaucoup de neige qui est tombée sur le sommet et cela pourrait bien en faire un challenge plus dur que prévu.

Vous avez enchaîné les ascensions de 13 sommets de plus de 8000 mètres en six mois. A quel point est-ce difficile de répéter les ascensions? Pour avoir une chance de gravir tous les 8000 en sept mois, il faut aller très vite à chaque fois que les conditions météo sont favorables. C’est pour ça que j’ai enchaîné le sommet de l’Everest, le Lhotse et le Makalu en l’espace de quarante-huit heures en mai [en reliant le camp de base de l’Everest et du Makalu en hélicoptèr­e]. De tels enchaîneme­nts sont extrêmemen­t durs pour le corps. Vous ne dormez presque pas pendant plusieurs jours, et puis il y a la souffrance physique et mentale, qui n’en finit pas quand vous montez trois sommets comme ceux-ci en quelques jours.

Votre passé de soldat gurkha [unité d’élite népalaise] puis de membre des forces spéciales britanniqu­es pendant seize ans vous aide-t-il à aller loin dans la souffrance? Le quotidien est très dur dans les forces spéciales britanniqu­es. Il y a un tel niveau d’exigence et de solidarité avec les membres de ton unité que, au bout d’un moment, tu te sens invincible. La montagne, c’est différent. Tu es seul face aux éléments et il faut être très humble. Mais c’est vrai que dans les deux cas, il y a une souffrance physique et mentale qu’il faut savoir apprivoise­r. Moi, j’aime lutter contre la fatigue, le froid, le manque d’oxygène et la peur dans la zone de la mort au-dessus de 8000 mètres. J’aime tenir bon au moment où la tête te dit de faire demi-tour. En fait, j’ai une addiction pour cette souffrance.

Y a-t-il des moments au cours de votre défi où vous avez douté? Il y a eu plusieurs moments difficiles, mais je crois que le seul où j’ai vraiment douté de pouvoir grimper l’intégralit­é des 8000, c’était sur le K2 en juillet. Des expédition­s étaient au camp de base depuis plusieurs semaines avant notre arrivée, mais elles avaient toutes renoncé à cause d’un énorme risque d’avalanche à l’approche du sommet. Avec mon équipe, nous avons beaucoup hésité à tenter le coup quand nous avons été informés des conditions, mais j’ai finalement décidé que cela semblait possible. Nous avons ouvert la voie en installant des cordes fixes, car personne n’était encore monté au K2 depuis le début de la saison.

Plusieurs alpinistes ont critiqué la philosophi­e de votre projet avec l’utilisatio­n de réserves d’oxygène, de cordes fixes et d’hélicoptèr­es. Que répondez-vous? C’est facile d’être assis à une table et de critiquer ce que je fais. Pourquoi je prends de l’oxygène? Pour ma sécurité et celle de mon équipe. Nous avons déjà sauvé plusieurs alpinistes qui étaient à la dérive grâce à nos bouteilles. Sur le Kanchenjun­ga, avec les membres de mon équipe, nous avons offert nos propres bouteilles d’oxygène à deux grimpeurs indiens et à leur guide sherpa qui étaient coincés à 8400 mètres d’altitude [les deux grimpeurs indiens sont finalement décédés]. Est-ce que ce n’est pas ça, l’esprit de la montagne? Les gens ne se rendent pas compte du défi que cela représente de grimper

«Au Népal, il y a beaucoup de grimpeurs très forts et inconnus. Je ne suis peut-être que le 99e grimpeur népalais le plus doué actuelleme­nt» NIRMAL PURJA

tous les 8000 mètres en sept mois. En termes de fatigue, de défi logistique, c’est inimaginab­le. Parfois, je dors à peine quelques heures après une longue ascension qu’il faut déjà en entamer une nouvelle. Je participe aussi à l’installati­on des cordes fixes. Sur le K2, mon équipe a installé des cordes fixes dans la zone exposée au risque d’avalanche. Les grimpeurs qui ont suivi nos traces [Adrian Ballinger et Carla Perez, qui grimpaient sans réserve d’oxygène] nous ont chaudement remerciés: sans nous, ils ne tentaient pas l’ascension. C’est ça, pour moi, l’esprit de l’alpinisme. Mon record, si j’arrive à l’établir, sera certaineme­nt battu un jour. Mais ce qui compte, c’est le plaisir de réaliser un tel défi.

Votre équipe, qui compte certains des meilleurs grimpeurs népalais, dont de nombreux sherpas, vous aide sur chaque ascension. Sans eux, tout cela ne serait pas possible? Au Népal, il y a beaucoup de grimpeurs très forts et inconnus. Je ne suis peut-être que le 99e grimpeur népalais le plus doué actuelleme­nt. Mais j’ai la chance de pouvoir mener ce projet grâce aux fonds que j’ai levés avec mes sponsors [notamment des associatio­ns caritative­s britanniqu­es, ainsi que l’agence népalaise Seven Summit Treks]. Beaucoup de sherpas ont grimpé de nombreux 8000 sans oxygène, plusieurs fois l’Everest, mais personne ne parle d’eux, car ils ne postent pas leurs exploits sur les réseaux sociaux. Je suis donc heureux de mettre en avant l’image des alpinistes népalais à travers mon projet. Dans mon équipe, il y a par exemple mon ami Mingma Sherpa, qui a déjà grimpé les 14 sommets. Il m’a appris énormément de choses depuis que j’ai commencé à grimper des 8000 en 2012.

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(SOURCE: INSTAGRAM)
 ?? (REINHARD GOLDMANN/GETTY) ?? Le Shishapang­ma (au centre), l’ultime défi de Nirmal Purja. A l’assaut des records
(REINHARD GOLDMANN/GETTY) Le Shishapang­ma (au centre), l’ultime défi de Nirmal Purja. A l’assaut des records
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