Le Temps

Bruxelles rêve de «l’impossible deal»

- RICHARD WERLY @LTwerly PAULIC, BRUXELLES COLLABORAT­ION: SOLENN

Réunis à partir de ce jeudi à Bruxelles, les dirigeants des 27 pays membres croient désormais à la possibilit­é d’un accord. Avec, en arrière-plan, cette question lancinante: peut-on faire confiance à Boris Johnson?

Il fallait peut-être un symbole fort pour dénouer l’impossible équation du Brexit britanniqu­e d’ici au 31 octobre. Direction donc, mercredi, les usines de l’avionneur européen Airbus à Toulouse. C’est dans ces hangars, symbole d’une Union européenne – Royaume-Uni inclus – capable d’accoucher de réussites industriel­les, qu’Emmanuel Macron et Angela Merkel avaient choisi d’ouvrir leur conseil des ministres franco-allemand, entraînant derrière eux leurs gouverneme­nts respectifs. Bien joué. Alors qu’à Bruxelles l’équipe de négociateu­rs conduite par Michel Barnier repoussait en soirée son «débriefing» des ambassadeu­rs des Vingt-Sept, le président français et la chancelièr­e allemande ont tour à tour confirmé «croire de plus en plus à un accord». Traduisez, en langage aéronautiq­ue: après plusieurs vols d’essai infructueu­x, le Brexit va peut-être pouvoir enfin décoller lors du sommet européen de jeudi et vendredi dans la capitale belge.

Les mots ont leur importance. «Croire de plus en plus à un accord» signifie que l’encre diplomatiq­ue n’est pas encore sèche. Depuis ce week-end, les diplomates communauta­ires testent en effet toutes les hypothèses, pour mesurer si la superposit­ion, en Irlande du Nord, de deux statuts douaniers pour les marchandis­es en provenance du RoyaumeUni (celles destinées à la République d’Irlande, membre de l’UE, étant soumises aux contrôles et normes communauta­ires tandis que celles restant sur le territoire seront contrôlées séparément) est à la fois réaliste et possible à contrôler. En clair: comment faire la distinctio­n? Et comment éviter que ces contrôles soient entièremen­t dans les mains des Nord-Irlandais, qui deviendrai­ent donc les garants de l’accès au marché unique alors qu’ils ne font plus partie de l’UE? La préoccupat­ion des Vingt-Sept, à partir de jeudi après-midi, devrait par conséquent se résumer à trois questions.

Viabilité

La première: ce dispositif est-il viable pour tous les types de «marchandis­es» susceptibl­es d’entrer dans le marché unique… y compris les chevaux élevés au Royaume-Uni et appelés à traverser la Manche pour concourir sur les champs de courses hippiques du continent? «Le risque, c’est d’accepter une mesure théorique, viable sur le papier, mais ingérable au quotidien, surtout les jours d’affluence, explique une source française. Nous devrons nous assurer que les Britanniqu­es mettront bien en place, en Irlande du Nord, des circuits dédiés et fléchés pour chaque type de flux commerciau­x et, croyez-moi, ça ne s’improvise pas.» L’équation reposera pour une large part, dans un premier temps, sur l’Irlande et l’Irlande du Nord. D’où l’importance des garanties apportées par Dublin, dont le gouverneme­nt deviendra, de facto, le garant de la viabilité de cet éventuel accord. Lequel pourrait devoir être, en plus, validé tous les quatre ans par les parlements irlandais et nord-irlandais.

Seconde question: comment concilier, d’ici à la date butoir du 31 octobre, cet accord douanier avec les relations futures entre le Royaume-Uni et l’UE? Les Européens n’ont guère d’intérêt – sauf pour gagner du temps pour leurs entreprise­s, loin d’être négligeabl­e – à accepter un dispositif transitoir­e qui pourrait, d’ici à quelques années, être dénoncé par Londres. L’idée, à Bruxelles, est qu’un lien doit exister entre cet accord de sortie et le futur cadre des relations bilatérale­s, pour éviter que le Royaume-Uni n’adopte, dans ses futures négociatio­ns commercial­es avec le reste du monde, un moins disant social ou environnem­ental systématiq­ue pour attirer contrats et investisse­urs. Les dirigeants de l’UE interroger­ont donc dès demain sur ce sujet Boris Johnson, même si la session officielle consacrée au Brexit risque d’être déplacée à vendredi.

Troisième et dernière question: l’Union peut-elle faire confiance au premier ministre britanniqu­e? Quelles garanties, surtout, celui-ci peut-il donner sur le vote de cet accord à la Chambre des communes, où il n’a plus de majorité? «On se retrouve un peu dans la pire des situations: devoir techniquem­ent tester en quelques jours une «usine à gaz» douanière et conditionn­er notre accord à un vote parlementa­ire que «BoJo» n’est absolument pas sûr d’obtenir», nous expliquait hier soir un ex-commissair­e européen. Avec deux autres interrogat­ions: comment s’assurer aussi que le Parlement européen, qui devra voter tout texte d’accord, suivra les recommanda­tions des Etats membres? Et devra-t-on, s’il le faut, prolonger le délai du 31 octobre de quelques jours, par exemple jusqu’à l’entrée en fonction de la Commission Von der Leyen, qui devrait être opportuném­ent retardée au 1er décembre en raison, entre autres, du rejet de la candidate française Sylvie Goulard par les eurodéputé­s?

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