Bruxelles rêve de «l’impossible deal»
Réunis à partir de ce jeudi à Bruxelles, les dirigeants des 27 pays membres croient désormais à la possibilité d’un accord. Avec, en arrière-plan, cette question lancinante: peut-on faire confiance à Boris Johnson?
Il fallait peut-être un symbole fort pour dénouer l’impossible équation du Brexit britannique d’ici au 31 octobre. Direction donc, mercredi, les usines de l’avionneur européen Airbus à Toulouse. C’est dans ces hangars, symbole d’une Union européenne – Royaume-Uni inclus – capable d’accoucher de réussites industrielles, qu’Emmanuel Macron et Angela Merkel avaient choisi d’ouvrir leur conseil des ministres franco-allemand, entraînant derrière eux leurs gouvernements respectifs. Bien joué. Alors qu’à Bruxelles l’équipe de négociateurs conduite par Michel Barnier repoussait en soirée son «débriefing» des ambassadeurs des Vingt-Sept, le président français et la chancelière allemande ont tour à tour confirmé «croire de plus en plus à un accord». Traduisez, en langage aéronautique: après plusieurs vols d’essai infructueux, le Brexit va peut-être pouvoir enfin décoller lors du sommet européen de jeudi et vendredi dans la capitale belge.
Les mots ont leur importance. «Croire de plus en plus à un accord» signifie que l’encre diplomatique n’est pas encore sèche. Depuis ce week-end, les diplomates communautaires testent en effet toutes les hypothèses, pour mesurer si la superposition, en Irlande du Nord, de deux statuts douaniers pour les marchandises en provenance du RoyaumeUni (celles destinées à la République d’Irlande, membre de l’UE, étant soumises aux contrôles et normes communautaires tandis que celles restant sur le territoire seront contrôlées séparément) est à la fois réaliste et possible à contrôler. En clair: comment faire la distinction? Et comment éviter que ces contrôles soient entièrement dans les mains des Nord-Irlandais, qui deviendraient donc les garants de l’accès au marché unique alors qu’ils ne font plus partie de l’UE? La préoccupation des Vingt-Sept, à partir de jeudi après-midi, devrait par conséquent se résumer à trois questions.
Viabilité
La première: ce dispositif est-il viable pour tous les types de «marchandises» susceptibles d’entrer dans le marché unique… y compris les chevaux élevés au Royaume-Uni et appelés à traverser la Manche pour concourir sur les champs de courses hippiques du continent? «Le risque, c’est d’accepter une mesure théorique, viable sur le papier, mais ingérable au quotidien, surtout les jours d’affluence, explique une source française. Nous devrons nous assurer que les Britanniques mettront bien en place, en Irlande du Nord, des circuits dédiés et fléchés pour chaque type de flux commerciaux et, croyez-moi, ça ne s’improvise pas.» L’équation reposera pour une large part, dans un premier temps, sur l’Irlande et l’Irlande du Nord. D’où l’importance des garanties apportées par Dublin, dont le gouvernement deviendra, de facto, le garant de la viabilité de cet éventuel accord. Lequel pourrait devoir être, en plus, validé tous les quatre ans par les parlements irlandais et nord-irlandais.
Seconde question: comment concilier, d’ici à la date butoir du 31 octobre, cet accord douanier avec les relations futures entre le Royaume-Uni et l’UE? Les Européens n’ont guère d’intérêt – sauf pour gagner du temps pour leurs entreprises, loin d’être négligeable – à accepter un dispositif transitoire qui pourrait, d’ici à quelques années, être dénoncé par Londres. L’idée, à Bruxelles, est qu’un lien doit exister entre cet accord de sortie et le futur cadre des relations bilatérales, pour éviter que le Royaume-Uni n’adopte, dans ses futures négociations commerciales avec le reste du monde, un moins disant social ou environnemental systématique pour attirer contrats et investisseurs. Les dirigeants de l’UE interrogeront donc dès demain sur ce sujet Boris Johnson, même si la session officielle consacrée au Brexit risque d’être déplacée à vendredi.
Troisième et dernière question: l’Union peut-elle faire confiance au premier ministre britannique? Quelles garanties, surtout, celui-ci peut-il donner sur le vote de cet accord à la Chambre des communes, où il n’a plus de majorité? «On se retrouve un peu dans la pire des situations: devoir techniquement tester en quelques jours une «usine à gaz» douanière et conditionner notre accord à un vote parlementaire que «BoJo» n’est absolument pas sûr d’obtenir», nous expliquait hier soir un ex-commissaire européen. Avec deux autres interrogations: comment s’assurer aussi que le Parlement européen, qui devra voter tout texte d’accord, suivra les recommandations des Etats membres? Et devra-t-on, s’il le faut, prolonger le délai du 31 octobre de quelques jours, par exemple jusqu’à l’entrée en fonction de la Commission Von der Leyen, qui devrait être opportunément retardée au 1er décembre en raison, entre autres, du rejet de la candidate française Sylvie Goulard par les eurodéputés?
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