En France, «nous sommes très en retard»
EXPORTATIONS Dans la Région Hauts-de-France, première concernée par le Brexit, les entrepreneurs exposés s’attendent, de toute façon, à des mois très difficiles
Dans tous les cas, le mot d’ordre restera identique. Malgré la probabilité relancée in extremis d’un accord des deux côtés de la Manche, Philippe Jamet préconise toujours à ses interlocuteurs de faire ce qu’il a luimême tenté de théoriser, lors d’un séminaire du Medef, fin septembre à Paris: «Se préparer à un «no deal» et «être prêts au pire».
Ce jour-là, le responsable du groupe de travail Brexit avait animé une matinée de travail franco-britannique, devant quelque 200 cadres et dirigeants du secteur privé. «Avez-vous conscience des coûts induits pour les entreprises? Comment expliquer, d’un côté, que le Royaume-Uni plaide pour le commerce et le libre-échange et, de l’autre, placer des milliers de patrons dans l’expectative?» avait-il lancé, en public, à Danna Langley, un haut fonctionnaire britannique du BEIS (Department for Business, Energy & industrial Strategy), l’un des principaux interlocuteurs administratifs. Un grognement dans la salle avait suivi. «Nous sommes très en retard. Point. Pour le reste, préparez vos calculettes», avait renchéri Jean-Paul Mulot, représentant de la Région Hauts-de-France à Londres.
Parcours du combattant
Les calculettes, depuis, ont fonctionné de plus belle: 400 milliards d’euros de marchandises traversent la Manche chaque année et 4,5 millions de camions embarquent ou débarquent à Calais, port consacré à 100% aux échanges avec le RoyaumeUni. Or même si un accord arraché in extremis entre Londres et Bruxelles évite un chaos douanier, tous les patrons français ou presque sont persuadés que le parcours du combattant du Brexit sera redoutable, voire meurtrier: «Chaque entreprise qui produit pour le marché anglais voudrait une ligne directe de l’autre côté du Channel, un interlocuteur capable de leur dire ce qui va, ou non, changer. Or personne, jusqu’à ces derniers jours, ne pouvait rien expliquer. On tombait sur des répondeurs. Sauf aux douanes, où l’on a parfois l’impression que les douaniers rêvent de nous réimposer leurs tonnes de paperasses et d’e-formulaires», s’énervait, après le séminaire, l’homme du Medef Philippe Jamet. Trente mille entreprises françaises ont un pied dans le marché britannique; 3300 opèrent au Royaume-Uni. «La panique politique du Brexit nous a fait oublier le pragmatisme, regrette Jean-Paul Mulot. Les fonctionnaires anglais, ne sachant pas quoi dire, ont beaucoup joué aux abonnés absents.»
Plus concurrentiel
Résultat: l’exaspération est montée en flèche ces dernières semaines côté français. Avec, toujours, cette crainte que les Belges et les Néerlandais, aux législations plus souples et au fonctionnement plus pragmatique, sachent mieux manoeuvrer. «Le commerce, c’est trouver vite les bonnes réponses. Dans tous les cas, ce qui compte, ce sera de s’adapter vite», reconnaissait, fin septembre, Violaine Colent, des douanes françaises. Seule exception: la relative sérénité des banques et des opérateurs financiers, convaincus que la City passera de toute façon tous les accords requis pour éviter toute disruption bancaire majeure.
«Un accord aux forceps ne va pas lever toutes les incertitudes. Le Brexit, c’est de toute façon une reconfiguration complète de nos relations industrielles et commerciales», complète une directrice du groupe automobile PSA, qui vient d’investir 100 millions d’euros dans son usine de Luton (Bedfordshire). Traduisez: le marché britannique s’annonce, pour les entrepreneurs français, de plus en plus concurrentiel. Avec des Anglais à l’affût pour profiter à plein de leur nouveau statut de pays tiers. ▅