Les entreprises se préparent sans savoir
ROYAUME-UNI Dans le brouillard des négociations, les multinationales britanniques – financières et pharmaceutiques surtout – prennent des mesures tout en retenue. Les PME, elles, attendent plutôt de voir
Le Brexit va se nicher jusque dans les montres de luxe suisses. Sur les quatre premiers mois de l’année, alors que la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE) était prévue pour le 29 mars, puis le 12 avril, les exportations de montres outre-Manche se sont envolées de 40%. Explication: après le Brexit, le risque étant de voir le passage de la frontière s’engorger, les importateurs ont fait des stocks. Depuis, ils les écoulent progressivement et les importations de montres sont retombées.
Anecdotique, le phénomène donne un aperçu des étranges perturbations économiques provoquées par la sortie de l’UE. Le Brexit touche tous les domaines, tout en étant rarement au centre de l’activité des entreprises. Banques, usines automobiles ou supermarchés doivent tous se préparer, que ce soit pour ajuster leurs stocks, préparer leur nouvel environnement réglementaire ou modifier leur chaîne logistique. On ne détricote pas quarante-cinq ans de législations communes sans quelques difficultés.
Qu’un accord soit trouvé lors du sommet européen de jeudi et vendredi ou pas, qu’il soit ensuite ratifié par le parlement britannique ou pas – ce qui reste très incertain, les entreprises tentent de se préparer. Dans l’incertitude ambiante, les PME britanniques ont choisi de mettre la tête dans le sable: seulement 21% de celles qui pensent que le Brexit aura un impact négatif (78%) ont fait des préparatifs. Les grandes entreprises ont en revanche multiplié les chantiers.
Leur toute première précaution a été de faire des stocks. Selon les calculs du Centre for Economics and Business Research (CEBR), une société de consultants, ceux-ci dépassent désormais de 11 milliards de livres (14 milliards de francs) leur moyenne, soit presque 10% de plus que la normale.
«Il n’y plus de place dans les entrepôts du sud-est de l’Angleterre», constate Jayne Masters, qui dirige Mini Clipper Logistics, une PME qui possède quatre entrepôts. Ces derniers mois, elle a dû régulièrement refuser des clients qui voulaient faire des stocks. Wincanton, une société qui gère 200 entrepôts – soit en son nom propre, soit pour le compte d’entreprises –, confirme: «La situation
Le Brexit touche tous les domaines, tout en étant rarement au centre de l’activité des entreprises
est pire qu’en mars, quand on se rapprochait de Pâques. Cette fois, Noël approche et les entrepôts sont de toute façon toujours pleins à cette saison.» En particulier, tous les lieux de stockage réfrigéré, pour l’alimentaire, débordent.
Certaines entreprises n’ont pas eu le choix, à commencer par les laboratoires pharmaceutiques. Soucieux d’éviter à tout prix une pénurie de médicaments, le gouvernement britannique leur a ordonné d’avoir six semaines de stock. Novartis, qui exporte 120 millions de boîtes de médicaments au Royaume-Uni chaque année, en fait partie.
Les entreprises réglementées, particulièrement dans la pharmacie et la finance, sont celles qui ont fait le plus de préparatifs. Dans les deux cas, il leur faut l’approbation des régulateurs pour y vendre leurs produits. Les grandes institutions financières ont donc multiplié les demandes d’autorisation, que ce soient des licences de banque, de monnaie électronique, de fonds d’investissement… Paris, Francfort, Dublin et Amsterdam ont été les principales villes bénéficiaires. Près de 1300 milliards de francs de fonds propres ont été déplacés de Londres vers le reste de l’UE.
Les employés ensuite
En revanche, les emplois n’ont guère suivi: dans la finance, seul un millier a été déplacé, selon les calculs d’EY, un cabinet de consultants. L’exemple de HSBC est parlant: en 2016, la banque britannique parlait de déplacer «jusqu’à» 1000 emplois à Paris. Finalement, selon nos informations, ce sera moins de 200, dont les trois quarts sont des embauches locales et pas des délocalisations. A Londres, une petite équipe a été nommée et est prête à partir du jour au lendemain quand le Brexit se matérialisera.
L’attentisme est logique: il s’agit de déplacer aussi peu de personnes que possible en attendant d’y voir plus clair. Mais un effet boule de neige reste possible. Toujours selon EY, 7000 personnes sont prêtes à partir après le Brexit, rien que dans la finance.
Cet attentisme se ressent aussi sur les investissements. Depuis trois ans, les entreprises hésitent à lancer de grands projets au Royaume-Uni: 15% des investisseurs étrangers en ont suspendu un ou plusieurs en 2018, selon le cabinet EY. Les secteurs directement exposés au Brexit sont fortement touchés: -35% dans le secteur manufacturier en 2018 (par rapport à 2017). Et tout ça a lieu alors que le Brexit ne s’est pas encore produit.
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