Matteo Salvini compte bien rebondir très vite
Le chef de la Ligue joue cet automne son avenir politique après une crise estivale qui l’a mis hors jeu. Il a convoqué samedi à Rome une grande manifestation contre le nouveau gouvernement. Et une semaine plus tard, il compte bien ravir l’Ombrie à la gauche
La «bête», du nom de la machine médiatique active derrière Matteo Salvini, manque de matière à mâcher. Le chef de la Ligue, le premier parti d’Italie, à l’extrême droite, est rarement hors des faisceaux des projecteurs. Or, dans la matinée de mercredi, le sénateur a souffert d’une «colique» qui l’a empêché de se rendre à l’enterrement de deux policiers tués début octobre à Trieste, dans le nord-est du pays. Un contretemps indésirable: l’ancien ministre de l’Intérieur hyperactif prépare son retour sur le devant de la scène politique deux mois après la crise politique qu’il a provoquée. Il a donné rendez-vous à ses militants samedi à Rome pour une grande manifestation contre le nouveau gouvernement de Giuseppe Conte, une semaine avant des élections régionales en Ombrie, transformées en test pour la popularité du nouvel exécutif.
Ses comptes survitaminés sur les réseaux sociaux ont proposé à ses militants de revivre l’affrontement qui l’a opposé la veille à l’autre Matteo, l’ancien premier ministre Renzi. Dans un premier débat télévisuel depuis 2006, exercice rare dans la Péninsule, l’ex-secrétaire du Parti démocrate (PD) a plusieurs fois raillé la «politique des projecteurs» de son opposant. Matteo Salvini répondait par des sourires arrogants, confortablement installé sur un bassin d’intentions de vote de près d’un tiers des Italiens. Le leader d’extrême droite est certain de ravir une nouvelle région à la gauche fin octobre.
Les douleurs abdominales du leader d’extrême droite ne freinent pas sa campagne électorale permanente. Ses étapes régionales dans le centre de la Botte jeudi, de Terni à Pérouse, sont confirmées. Et une conférence de presse est prévue en fin d’après-midi aux côtés de ses alliés, Silvio Berlusconi et Giorgia Meloni, la cheffe du parti néofasciste Fratelli d’Italia. Car le retour de Matteo Salvini passe par une recomposition de la coalition de centre droit. Le secrétaire fédéral de la Lega l’a brisée à l’été 2018 lorsqu’il a décidé de former un gouvernement avec le Mouvement 5 étoiles (M5S), tombé un an plus tard.
Toujours puissant
«Malgré l’erreur qu’il a commise cet été en provoquant une crise politique, il mène encore une grande partie du pays», lance Giovanni Orsina, professeur de sciences politiques à l’Université Luiss de Rome. Le dernier sondage d’opinion de l’institut SWG lui attribue mi-octobre 33,2% des voix, contre 19,4% au PD et 18,6% au M5S. Ses alliés de droite sont largement sous la barre des 10%, le désignant de fait leader de la coalition, au grand dam de Silvio Berlusconi. Mais pour maintenir son statut, il doit aussi «gérer les maux de ventre de la Ligue, ajoute le politologue. Surtout au nord, où les gouverneurs d’extrême droite, notamment de la Vénétie, lui suggèrent de se modérer et d’être moins ambigu sur la sortie de l’Italie de l’euro.»
Matteo Salvini semble les avoir écoutés. Les images le montrant arborant un t-shirt «Basta euro» («Stop à l’euro») sont désormais lointaines. «Je peux vouloir changer l’Europe», lâche-t-il mardi soir, laissant sous-entendre qu’il a mis de côté son euroscepticisme radical. «Je veux changer les règles européennes, de l’intérieur», expliquait-il déjà un jour plus tôt lors d’une autre interview, discréditant ses conseillers économiques favorables à une sortie de la zone euro. «C’est un opportuniste, tranche le journaliste Richard Heuzé, il se sert des deux», des modérés comme des eurosceptiques de son parti. «Il est à l’affût de la moindre idée qui peut lui rapporter quelque chose», ajoute l’ancien correspondant en Italie du Figaro, observateur de la vie politique depuis 1980.
«La bataille contre l’Europe est capitale pour lui», écrit le journaliste dans son livre Matteo Salvini. L’homme qui fait peur à l’Europe (Plon, 2019). Sa rédaction s’est achevée cet été, avant la crise politique. Mais son analyse tient toujours avec un leader poussé sur les bancs de l’opposition. «Pour transformer [son] avantage, il lui faut engager de nouveaux combats, s’inventer de nouveaux «ennemis», observe Richard Heuzé. […] S’il veut survivre politiquement et défendre l’avance conquise en dix-huit mois, il doit remporter des succès.»
Ainsi, à défaut de pouvoir mener une politique radicale contre l’immigration clandestine depuis le Ministère de l’intérieur qu’il a occupé quatorze mois durant, le politicien mise tout sur la confirmation des intentions de vote dans les urnes. «Le destin de Salvini se joue ces quinze prochains jours», écrivait Il Sole 24 Ore le 10 octobre dernier. Le Matteo de droite veut absolument éviter la fin du Matteo de gauche. Renzi volait à 40% lors des élections européennes de 2014, avant de devenir l’un des politiciens italiens les moins appréciés et à la tête d’une nouvelle formation créditée entre 4 et 5% des voix.
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«Pour transformer [son] avantage, il lui faut engager de nouveaux combats, s’inventer de nouveaux «ennemis»
RICHARD HEUZÉ, JOURNALISTE