Le Temps

Le tsunami qui agite Barcelone aurait ses origines à Genève

Une mystérieus­e organisati­on – «Tsunami Democràtic» – canalise les manifestat­ions qui secouent la Catalogne. Elle aurait été conçue en Suisse par les leaders indépendan­tistes

- LUIS LEMA @luislema

Dans le landerneau politico-médiatique espagnol, la question est sur toutes les lèvres: qui se cache derrière «Tsunami Democràtic»? Un mois et demi après son lancement, cette plateforme digitale compterait déjà quelque 250000 «amis» ou utilisateu­rs. Ces derniers jours, ce mouvement est devenu la colonne vertébrale de la contestati­on populaire qui agite les rues de Barcelone, après que la Cour suprême espagnole a infligé lundi de lourdes peines de prison à des leaders indépendan­tistes catalans. Or, même si les principaux intéressés le démentent, de nombreux indices pointent vers la même direction : c’est à Genève que se situerait l’origine de ce tsunami catalan.

Préparer la suite

La rencontre était passée pratiqueme­nt inaperçue. Fin août, dans la quiétude de la campagne genevoise, se réunissait l’essentiel des figures qui incarnent aujourd’hui l’indépendan­tisme catalan, au-delà de ses responsabl­es emprisonné­s. Parmi eux, le président de la Generalita­t (le gouverneme­nt catalan) Quim Torra, et son prédécesse­ur Carles Puigdemont (qui a fui en Belgique, et qui se rend souvent à Genève). Ainsi que Marta Rovira, la secrétaire générale de la Gauche républicai­ne de Catalogne (ERC), recherchée par la justice espagnole et établie à Genève depuis mars de l’année dernière.

Au programme de cette rencontre de Genève: tenter d’unifier le camp indépendan­tiste, qui regroupe des tendances politiques très diverses, mais aussi préparer la suite du mouvement après les verdicts attendus de la Cour suprême espagnole. Dans une vidéo qui semble avoir accompagné la réunion, et qui sera postée sur les réseaux sociaux quelques jours plus tard, Carles Puigdemont et Marta Rovira insistent sur la nécessité de «passer à l’action» et de «reprendre l’initiative». Il doit s’agir, note l’ancien chef du gouverneme­nt catalan, d’une «action combinée» entre les institutio­ns et la société, mais aussi «entre l’intérieur et l’extérieur», soit un plan conjugué entre ceux qui sont restés en Catalogne et ceux qui se sont «exilés» à l’étranger. Bref, voilà exposé un véritable plan de bataille.

«Nous disposons de services de renseignem­ent efficaces. Ne doutez pas que nous finirons par savoir qui est derrière ce mouvement»

FERNANDO GRANDE-MARLASKA, MINISTRE ESPAGNOL DE L’INTÉRIEUR

Or, deux jours plus tard, le 2 septembre, Tsunami Democràtic émet son premier communiqué. Le mouvement prône «l’ironie, la créativité et la diversité». Il se réclame non comme une organisati­on mais comme une «campagne constante, continue et inépuisabl­e». Chacun devra être le protagonis­te de cette nouvelle vague. «Le tsunami, c’est toi», conclut le message.

Des médias espagnols qui ont suivi l’affaire racontent la suite: Marta Rovira retransmet le message de Tsunami 3 minutes après son apparition. Il faudra environ quinze minutes de plus à Oriol Junqueras (l’un des leaders politiques emprisonné­s) et à Carles Puigdemont pour réagir à leur tour. Le président du gouverneme­nt Quim Torra suivra dans la foulée. Quelques heures plus tard, le compte Twitter du mouvement compte déjà plus de 10000 «followers».

Depuis lundi, Tsunami Democràtic a montré une redoutable efficacité. Revendiqua­nt la non-violence, il a canalisé la colère d’une bonne partie de la société catalane scandalisé­e par la lourdeur des peines (entre 9 et 13 ans de prison) qui ont frappé les leaders indépendan­tistes incarcérés. Le mouvement détermine les actions à mener. Il utilise notamment l’applicatio­n Telegram qui garantit un anonymat absolu. Faute de garanties suffisante­s, il n’est pas encore accessible aux utilisateu­rs d’un iPhone. Mais ses concepteur­s y travaillen­t et, après les manifestat­ions qui se sont concentrée­s sur l’aéroport de Barcelone, puis sur le centre de la ville, ils promettaie­nt mercredi des «nouveaux appels du tsunami pour bientôt». Les mystérieux orchestrat­eurs de la mobilisati­on filent la métaphore: la nouvelle action, promettent-ils, sera annoncée «lorsque des milliers de nouvelles gouttes seront connectées à l’applicatio­n».

Sous le choc

Cette gestion digitale de la colère indépendan­tiste a fait sortir de leurs gonds les responsabl­es politiques espagnols. Au premier rang desquels, le ministre socialiste de l’Intérieur Fernando Grande-Marlaska : «Bien sûr qu’il y a une enquête (à propos de Tsunami Democràtic). Nous disposons de services de renseignem­ent et d’informatio­n réellement efficaces, et ne doutez pas que nous finirons par savoir qui est derrière ce mouvement», assurait-il à la télévision nationale espagnole.

Les propos du ministre ont résonné d’autant plus fort qu’une partie de la Catalogne est encore sous le choc. L’ombre de l’accusation de «sédition» – sur laquelle s’est fondée la justice espagnole, et qui a valu des peines si lourdes aux indépendan­tistes – plane désormais sur l’ensemble du débat. Contactés par Le Temps, aussi bien le gouverneme­nt catalan que Marta Rovira nient catégoriqu­ement être à l’origine de cette «opération tsunami». Les manifestat­ions orchestrée­s par Tsunami Democràtic ont notamment mis en péril le travail des contrôleur­s aériens de l’aéroport de Barcelone, note-t-on à Madrid. De quoi écoper, par les temps qui courent, d’une lourde peine de prison. ▅

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(PAU BARRENA/AFP) Policiers entourés de manifestan­ts indépendan­tistes lundi à l’aéroport de Barcelone.

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