Le Temps

«Petite, si tu es Kurde, il faut partir. Les enfants morts ne peuvent plus grandir»

- DAVID HILER

Pierre Perret a écrit de très belles chansons engagées. L’une d’elles, composée en 1992, raconte le massacre d’une famille kurde par des soldats; elle est intitulée «La Petite Kurde»; L’auteur met en garde une fillette contre l’illusion de la lutte armée: «N’écoute pas les fous qui nous ont dit/Qu’la liberté est au bout du fusil/Ceux qui ont cru ces bêtises/Sont morts depuis longtemps/Les marchands d’armes ont tous de beaux enfants.» Cette chanson prend évidemment une nouvelle actualité avec l’offensive turque, mais, en fait, depuis un siècle, les massacres des Kurdes n’ont jamais cessé, que ce soit en Turquie, en Irak, en Syrie ou en Iran.

Au cours de leur très longue histoire, les Kurdes ont le plus souvent été incorporés dans des grands empires, sans jamais renoncer ni à leur langue ni à leur culture. Lors de l’affirmatio­n des nationalis­mes, à partir du milieu du XIXe siècle, ils n’ont pas eu la chance, contrairem­ent aux pays des Balkans, de se constituer en un Etat indépendan­t. Le traité de Sèvres (1920) entre les Alliés victorieux et l’Empire ottoman prévoyait certes la création d’un petit Kurdistan autonome au sud-ouest de l’Anatolie, mais ce traité, on le sait, n’a jamais été ni ratifié ni appliqué.

La guerre d’indépendan­ce turque qui opposait la résistance nationalis­te menée par Mustafa Kemal aux puissances alliées de 1919 à 1922 se termina en effet par la victoire des armées kémalistes. Le traité de Lausanne (1923) consacra la République d’Atatürk. Il ouvrit la voie au génocide arménien et sonne le glas des espoirs kurdes. Ces derniers n’ont pourtant jamais renoncé à leur quête d’indépendan­ce; des centaines de milliers d’entre eux sont morts pour cette cause.

En Iran, en 1946, les Kurdes, soutenus par l’Union soviétique, déclarent l’indépendan­ce, mais après le départ de son allié, la république autoprocla­mée tombe face à l’armée iranienne. Les Kurdes seront ensuite réprimés par le shah d’Iran puis par l’ayatollah Khomeiny, qui leur déclare une «guerre sainte», qui se solde par une dizaine de milliers de victimes.

En Irak, les Kurdes s’engagent dans une série d’insurrecti­ons dès les années 1960: des centaines de milliers d’entre eux sont déportés. Pendant la guerre Iran-Irak, Saddam Hussein met en place des politiques anti-kurdes et fait ainsi éclater une guerre civile. Les massacres, déportatio­ns et destructio­ns de villages prennent une sinistre ampleur. En 1988, le dictateur utilise des armes chimiques contre la ville d’Halabja. En 1990, lors de la guerre du Golfe, les Kurdes se soulèvent mais, abandonnés par les Américains, ils sont rapidement défaits. Des centaines de milliers d’entre eux fuient vers les frontières. Le Conseil de sécurité établit alors une zone d’interdicti­on aérienne, supposée être un «abri sûr». On sait aujourd’hui que sous le régime de Saddam Hussein plus de 200000 Kurdes ont perdu la vie.

En Syrie, c’est à une véritable tentative d’acculturat­ion que l’on a assisté: interdicti­on de l’usage de la langue kurde, refus d’enregistre­r les enfants sous un nom kurde, la prohibitio­n des écoles privées et des publicatio­ns en kurde. Depuis 2011, la guerre civile syrienne a permis aux Kurdes – qui ont remporté plusieurs victoires contre l’Etat islamique – d’établir une région autonome de fait, dans le nord du pays. Son existence est aujourd’hui remise en cause par l’offensive turque et de nouveaux massacres sont à prévoir.

Chacun se souvient en effet des exactions contre les civils dont les forces turques se rendirent coupables dans leur lutte contre la guérilla du PKK. Leurs alliés occidentau­x ne bougeront évidemment pas le petit doigt. Alors puisque seule la peur d’un afflux de réfugiés semble pouvoir faire réagir l’Europe, peutêtre les Kurdes devraient-ils suivre le conseil de Pierre Perret: «Nous irons en Europe/Si tel est notre lot…/ Là-bas ils ne tuent les gens qu’au boulot!» ▅

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