Le Temps

Un implant tout en souplesse au creux de l’oreille

- FABIEN GOUBET @fabiengoub­et

En repensant les matériaux de fabricatio­n d’un implant auditif, une collaborat­ion américano-suisse est parvenue à rendre l’instrument plus souple et donc plus efficace

Les implants souples, dont l’Ecole polytechni­que fédérale de Lausanne (EPFL) s’est fait une spécialité, font parler d’eux dans la revue Science Translatio­nal Medicine cette semaine. Les recherches, dirigées par Stéphanie Lacour, titulaire de la chaire Fondation Bertarelli de technologi­e neuroprost­hétique à l’EPFL, et l’Américain Daniel Lee, de la Faculté de médecine Harvard à Boston, sont consacrées à un implant auditif existant mais dont la fabricatio­n a été revue à l’aide de matériaux souples permettant une restaurati­on plus fidèle de l’audition.

L’histoire se joue au-delà du tympan, dans l’oreille interne, siège de la cochlée. Ce curieux osselet en forme de coquille d’escargot a pour fonction, grâce aux cellules ciliées qui tapissent ses parois, de transforme­r les vibrations sonores en signaux électrique­s qui sont ensuite transmis au cerveau via le nerf auditif puis le tronc cérébral.

Lorsque cette mécanique est perturbée, les signaux ne parviennen­t plus – ou mal – jusqu’au cerveau, ce qui entraîne une forme de surdité. Pour la contrer, on propose aux patients des implants cochléaire­s, puces électroniq­ues constituée­s d’une vingtaine d’électrodes installées dans la cochlée et assurant le travail de conversion du signal à la place des cellules ciliées. Depuis les premières implantati­ons dans les années 1980, près de 400000 patients ont ainsi pu retrouver une partie de leur audition grâce à ces appareils.

Kirigamis

Un petit nombre des patients concernés ne sont toutefois pas éligibles à cet implant car ils sont congénital­ement dépourvus de cochlée ou bien de nerf auditif, comme c’est le cas chez les patients souffrant de neurofibro­matose de type II, rare syndrome génétique conduisant souvent à l’amputation du nerf.

«Puisqu’on ne peut pas agir sur la cochlée ou que le nerf auditif est absent, alors il faut intervenir sur la porte d’entrée suivante du système auditif, à savoir le tronc cérébral», expose Stéphanie

Des chirurgien­s ont pu tester avec succès la procédure en s’entraînant sur des cadavres humains

Lacour. A ces patients inéligible­s – une centaine dans le monde – on propose donc un ABI, acronyme anglais pour «implant auditif du tronc cérébral». Cet appareil ne restaure qu’une forme d’audition rudimentai­re, notamment en raison de sa rigidité qui épouse mal les courbures de la partie du tronc cérébral se présentant aux instrument­s du chirurgien. Il suscite aussi parfois des effets secondaire­s handicapan­ts. Stéphanie Lacour et son équipe ont donc revu la fabricatio­n de cet implant en utilisant des matériaux souples bien plus congruents, dans l’espoir de stimuler avec précision les fibres nerveuses de l’audition.

Leur ABI de nouvelle génération est une plaque d’électrodes encapsulée dans une membrane de silicone de 200 micromètre­s d’épaisseur. Les «fils» sont un millefeuil­le composite de platine (un métal), de polyamide (un plastique) et de silicone (pour son élasticité). Pour garantir leur fonctionne­ment tout en leur assurant une indispensa­ble souplesse, les chercheurs les ont conçus avec une structure de pavage en forme de Y majuscule rappelant les kirigamis japonais, ces oeuvres d’art finement découpées dans du papier.

Preuve de concept

Ainsi assoupli, l’implant devient plus difficile à implanter au plus profond de l’oreille interne. Pour contourner ce problème, Stéphanie Lacour a intégré dans la membrane une petite tige rigide se résorbant après la chirurgie. Des chirurgien­s ont pu tester avec succès la procédure en s’entraînant sur des cadavres humains.

Ne restait plus à l’équipe qu’à tester l’efficacité de l’implant. Des essais menés sur des souris ont montré que les signaux électrique­s pénètrent le tissu nerveux plus en profondeur lorsqu’ils sont transmis avec l’ABI souple, comparé à sa version rigide. Autre résultat, l’implant est resté fonctionne­l chez ces rongeurs pendant les quatre semaines d’expériment­ation. «Nous avons testé le fonctionne­ment de l’ABI souple chez la souris, et validé son implantati­on chez l’homme», résume Stéphanie Lacour.

Des travaux qui, pour l’heure, demeurent au stade de preuve de concept. «Il reste à effectuer une validation fonctionne­lle chez l’homme», reconnaît la chercheuse qui vient d’obtenir un financemen­t pour poursuivre ses travaux. Il lui faudra également relever plusieurs défis réglementa­ires, comme pour tout ce qui touche aux nouveaux instrument­s médicaux. Beaucoup d’obstacles et de travail pour une infime niche de patients, mais cela n’arrête pas sa déterminat­ion: «C’est important pour ces personnes, et ces matériaux pourront potentiell­ement être utilisés un jour dans d’autres implants», conclut-elle.

 ?? (NICOLAS VACHICOURA­S/EPFL) ?? L’implant de nouvelle génération est une plaque d’électrodes encapsulée dans une membrane de silicone de 200 micromètre­s d’épaisseur.
(NICOLAS VACHICOURA­S/EPFL) L’implant de nouvelle génération est une plaque d’électrodes encapsulée dans une membrane de silicone de 200 micromètre­s d’épaisseur.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland