Jean-Luc Favre, au volant de la mobilité propre du Grand Genève
«Aujourd’hui, les apprentis mécaniciens sont formés sur des moteurs diesel qui, dans quinze ans, seront obsolètes. Il faut adapter leur formation»
Cet ingénieur a fait rouler un bus 100% électrique dans les rues de Genève. Il se concentre désormais sur un moteur de camion à hydrogène. Rencontre avec Monsieur mobilité propre du Grand Genève
Le Léman Express n’est pas uniquement un train qui va prochainement relier 45 gares dans le Grand Genève; c’est aussi une machine à prédire l’avenir! Lorsqu’on lui demande où il sera le 15 décembre au matin, jour de sa mise en service, Jean-Luc Favre se projette sur le quai de la gare de Thonon. Moins d’une heure plus tard, il descendra à Cornavin, soit un gain de temps faramineux par rapport au trajet qu’il fait aujourd’hui quotidiennement en voiture. Comme beaucoup de pendulaires, cet ingénieur électricien anticipe déjà les bienfaits de l’abandon de l’un des «pires systèmes que la technologie ait développés» qu’est la voiture, à l’arrêt 95% du temps. «J’en possède une. Je n’ai aucune leçon à donner, admet-il. Mais il y a une prise de conscience collective que ce moyen de transport individuel n’est plus adapté à l’époque.»
La phrase n’est pas lancée en l’air. Les considérations de JeanLuc Favre sur la mobilité ont du poids. En tant que directeur du site genevois d’ABB, il avait lancé le projet d’un bus 100% électrique entièrement développé à Genève. Un pari insensé. TOSA, c’est son nom, a été inauguré fin 2017. Plus récemment, il a présenté GOH!, pour Generation of Hydrogen: faire rouler à l’été 2020 un camion à hydrogène. Un moteur dont le rendement atteint 95% contre 30% pour l’essence. Il s’agit ici de faire collaborer GreenGT, la start-up qui va se charger de la propulsion électrique à hydrogène; Larag, qui va intégrer la technologie sur un châssis; les Services industriels de Genève, qui fourniront l’hydrogène vert; et Migros, qui utilisera le camion de 40 tonnes. Au centre, Jean-Luc Favre structure la démarche. Cette force centrifuge, c’est désormais son rôle au sein de la fondation Nomads.
En finir avec la dépendance au pétrole
«Quand le projet sera mûr, GreenGT pourra développer des drones à hydrogène, reprend-il. Les moteurs des bateaux de la CGN pourront fonctionner ainsi. Nous voulons faire la démonstration qu’il est possible de mettre au point une filière à hydrogène dans la région. Elle permettra de remplacer l’essence et le diesel. L’hydrogène est produit localement. C’est se couper de la dépendance envers les pays qui produisent du pétrole. Un écosystème peut se mettre en place dans le Grand Genève. Aujourd’hui, les apprentis mécaniciens de l’UPSA [Union professionnelle suisse de l’automobile] sont formés sur des moteurs diesel qui, dans quinze ans, seront obsolètes. Il faut adapter leur formation aux véhicules électriques, autonomes, intelligents et connectés. GOH! permet donc de faire ce à quoi nous croyons chez Nomads: de la formation intégrée dans un projet technologique. L’école d’ingénieurs Hepia a été associée, de même que la HEAD, pour le logo du projet et le design du camion.»
Débit serré, Jean-Luc Favre décrit un concept, cite les entreprises qui le concrétisent et se projette sur les répercussions dans l’écosystème économique genevois. L’ingénieur vous embarque dans la conversation comme il enrôle ses partenaires dans des projets industriels. Il faut suivre. «J’adore rassembler et faire travailler les gens ensemble, dit-il. J’aime faire, concrétiser. Le changement ne me fait pas peur.»
Jean-Luc Favre l’avait prouvé fin 2017, en quittant ABB. Le moment devait pourtant représenter un aboutissement professionnel majeur. Entré en 1992, il y a grimpé les échelons pour se retrouver chargé du développement de l’activité ferroviaire. Entre 2004 et 2017, les ventes sont passées de 200 millions à 1,5 milliard de dollars. Début novembre 2017, un mois avant l’inauguration de TOSA, la délocalisation de 150 postes de Genève vers la Pologne est annoncée par la nouvelle direction internationale. Jean-Luc Favre quitte l’entreprise au 31 octobre 2017.
Un Savoyard très genevois
Après sa démission, l’ingénieur s’est fait discret. «J’étais triste. Mais parler aurait été ajouter de la peine à la peine», souligne-t-il. Durant ses années au sein de la multinationale, il a reçu des offres qui lui auraient permis de travailler au Canada, en France ou encore en Chine. Il choisira de rester à Champanges, une commune au-dessus d’Evian dont son père a été maire durant trente ans. «La terre de mes ancêtres depuis le XVIIe siècle», dans ce Chablais natal «à la culture insulaire». L’étranger? Pas envie. «Le Grand Genève donne cette chance de pouvoir développer des activités économiques et professionnelles importantes tout en restant à taille humaine.»
Jean-Luc Favre est un fervent défenseur du Grand Genève: «La communauté de destin est évidente. Pour l’avoir vécue comme frontalier, je peux témoigner que la situation s’est bien améliorée en trente ans. Avoir un Savoyard comme président de l’Union des Associations Patronales Genevoises, soit 28000 entreprises pour 170000 emplois, c’est une marque d’ouverture d’esprit.» Dès le 15 décembre, le Léman Express rendra ce progrès très concret et permettra au Grand Genève de se lancer dans le défi d’une mobilité plus propre.
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