De l’art de savoir déléguer avec tact. Nos offres d’emploi
Les cadres ont souvent de la peine à déléguer. Pourtant, la pratique, si elle n’est pas utilisée comme prétexte pour se débarrasser de tâches ingrates, peut profiter aux chefs comme aux employés
«Le problème dans la démarche de déléguer, c’est souvent le chef. Il doit lâcher prise sur son ego, son pouvoir, et accepter que certains processus vont fonctionner sans sa consultation.» Michel Perrin en sait quelque chose: il est lui-même directeur d’Uditis, une entreprise neuchâteloise active dans le domaine informatique. Elle s’est transformée il y a trois ans pour adopter une gestion plus agile.
Conséquence: l’entreprise a remis un maximum d’autonomie à ses collaborateurs. «Nous avons engagé des personnes compétentes et bien payées, il n’y a aucune raison de les infantiliser», estime Michel Perrin. Dans les faits, les employés d’Uditis ne consultent désormais plus leur patron pour nombre de questions. Yoann Jeunet, responsable de comptes clients chez Uditis, vit désormais cette réalité. Pour ce qui est des budgets à attribuer au marketing ou à la formation par exemple, il n’en réfère plus à sa hiérarchie: il est «au courant des tenants et des aboutissants» de ses choix. Le directeur, lui, se dit soulagé: «Je peux me concentrer sur l’essentiel de mon travail, au lieu de me disperser.»
Les chefs ont peur
Pas facile cependant d’en arriver là. Le premier obstacle à la délégation est bien souvent que les chefs ont peur de franchir le pas. «Déléguer est souvent considéré comme une perte de pouvoir», regrette Corinne Martino, formatrice spécialisée en compétences interpersonnelles, qui anime une formation sur cette thématique au Centre romand de promotion du management (CRPM), à Lausanne. «Si je délègue, à quoi je sers? se demandent certains. Mais un cadre n’est plus un chef qui donne des ordres, c’est avant tout un coach.»
Car la légitimité du chef n’est pas remise en question en cas de délégation, défend Jean-Ange Lallican, auteur de l’ouvrage L’art de déléguer (Ed. Dunod). «Le cadre est légitime parce qu’il accompagne le collaborateur, l’aide à donner du sens à son travail et à l’accomplir avec succès», souligne-t-il au Temps.
Depuis la parution de son livre en 2015, Jean-Ange Lallican estime que le contexte a déjà bien changé: «Il existe beaucoup plus
«Déléguer une tâche doit faire l’objet d’une vraie discussion, pas être une demande rapide entre deux portes» CORINNE MARTINO, FORMATRICE SPÉCIALISÉE EN COMPÉTENCES INTERPERSONNELLES
d’entreprises dites agiles, où les décisions sont prises par ceux qui se situent professionnellement au plus proche de l’action.» Le spécialiste y voit nombre de vertus: «Nous vivons une crise de l’engagement au travail. La délégation est une solution: c’est un moyen pour chacun de trouver du sens dans ce qu’il fait et de réaliser son importance pour l’équipe.»
La délégation permet aussi d’éviter l’impasse professionnelle, selon Corinne Martino. «Si un cadre ne délègue rien, il risque le burn-out. Et un employé autonome et compétent qui a envie d’évoluer, s’il a un responsable tout le temps derrière lui, il aura tout simplement envie de partir.» Yoann Jeunet confirme qu’obtenir davantage de responsabilités peut s’avérer stimulant: «Je trouve valorisant d’avoir cette liberté d’agir, de ne pas être un pousse-bouton qui fait juste ce qu’on lui dit.»
Aider, pas abandonner
Mais déléguer n’est pas abandonner. Pour transmettre au mieux, la culture d’entreprise doit d’abord permettre le droit à l’erreur. «Pour qu’un collaborateur puisse dire qu’il s’est trompé, ou simplement qu’il ne sait pas faire, précise Corinne Martino. Déléguer une tâche doit faire l’objet d’une vraie discussion, pas être une demande rapide entre deux portes. Il faut ensuite l’accompagner. C’est en réalité un acte de management très fort.» Martial Ruprecht a suivi la formation du CRPM sur la délégation. Il est chef d’atelier à La Fédération suisse de consultation en moyens auxiliaires pour personnes handicapées et âgées. Il est amené à déléguer à ses collaborateurs, par exemple, le processus de commande de fauteuils roulants, mais il manquait d’outils pour le faire avec justesse: «Aujourd’hui quand je délègue, je clarifie les objectifs et surtout je donne davantage de feed-back à mes collaborateurs.»
Quant à savoir s’il y a des obligations qu’un cadre ne peut pas déléguer, Corinne Martino est claire. «Uniquement celles qui relèvent du management à proprement parler.» Entre autres: fixer des objectifs, suivre les collaborateurs et leur faire des retours.
Trop déléguer, un risque aussi
Mais n’y a-t-il pas un risque à trop déléguer au détriment de ses employés? La bonne intention pourrait se transformer en prétexte pour surcharger le collaborateur de tâches ingrates. «Il y a évidemment une question de contexte, rappelle Jean-Ange Lallican. Le processus ne doit pas être imposé comme conséquence d’un départ ou d’un manque de personnel.» La question du consentement du collaborateur et de son adhésion à la tâche est essentielle. Sinon, il s’agit d’un ordre, estime Corinne Martino. «Il faut évaluer où en est l’équipe dans sa charge de travail, et donner de bonnes raisons de déléguer. Car si les tâches confiées ne sont jamais intéressantes, le collaborateur aura l’impression qu’il est pris pour «la poubelle» de l’équipe.»
Enfin et surtout, être davantage impliqué, tout le monde n’en rêve pas. «J’avais envie d’être entrepreneur, donc d’avoir davantage de responsabilités, confie Yoann Jeunet. Mais il faut être conscient que certains n’en souhaitent pas. Il faut rester à leur écoute. Il ne faut pas forcer les gens à être ce qu’ils n’ont pas envie d’être.» ▅