Prendre le Brexit en otage n’est désormais plus acceptable
L’accord conclu jeudi entre le Royaume-Uni et l’Union européenne a trouvé une solution pragmatique au problème irlandais pour l’accès au marché unique. Mais la défiance envers le premier ministre britannique reste tenace
Ceux qui suivent depuis trois ans les péripéties du Brexit ont le droit de sourire. Ou de pleurer de rage. La solution acceptée jeudi à Bruxelles par le gouvernement britannique et les 27 pays membres de l’Union européenne ne diffère en effet qu’à la marge des versions précédentes, plusieurs fois rejetées à la Chambre des communes.
Le verrou, on le sait, se trouvait en Irlande du Nord, porte d’entrée spécifique au marché européen, puisque seule frontière terrestre du RoyaumeUni avec l’UE. C’est là que le pragmatisme devait l’emporter, avec ce qu’il faut de créativité douanière et réglementaire. Or la version remaniée du fameux «protocole irlandais» ajouté aux 600 pages de l’accord de retrait contient a priori une solution durable, sur laquelle le parlement nord-irlandais disposera en plus d’un droit de veto dans quatre ans. Voilà donc la présumée «bombe» insulaire désamorcée. Avec, du côté de Londres comme de Bruxelles, une volonté manifeste de se faire confiance dans l’application des futures normes ou des tarifs.
La question, dès lors, redevient politique et britannique: est-il possible, dans ce Royaume-Uni plus divisé que jamais par le référendum du 23 juin 2016 et la victoire du Brexit par 51,9% des voix, de passer enfin à l’étape suivante? Est-il envisageable, malgré les colères et les rancoeurs des plus durs brexiters et des plus amers remainers, qu’une majorité se dégage pour dire oui à ce texte qui sécurise les droits des citoyens, confirme une période de transition jusqu’à la fin de 2020 au moins et ouvre la possibilité pour ce futur pays tiers de l’UE de rebâtir sa relation sur la base d’un accord de libre-échange «à la suisse»? Est-il acceptable, enfin, pour une majorité de députés britanniques, de s’engager – comme le texte le prévoit – à ce que Londres demeure, à l’avenir, un concurrent fair-play de l’Union, qui ne confondra pas liberté de commerce et dumping généralisé?
L’accord validé hier à Bruxelles ne peut ni cicatriser les blessures d’un peuple ni excuser le cynisme de certains politiciens. Il ne peut pas non plus refermer les plaies ouvertes au sein des forces politiques britanniques par trois années de convulsions et de règlements de comptes dont l’actuel premier ministre Boris Johnson porte une large part de responsabilité. N’empêche: prendre le Brexit en otage n’est désormais plus acceptable. A l’heure où l’Union européenne, l’espace Schengen de libre circulation, l’euro et l’économie du continent entier sont soumis à tant de défis – migratoires, économiques, géopolitiques –, l’agonie du Brexit a assez duré. Les députés britanniques doivent comprendre que le moment est venu d’en finir. Avec un deal.
Les députés britanniques doivent comprendre que le moment est venu d’en finir. Avec un deal
Rien ne dit que l’infernale saga du Brexit s’est achevée jeudi à Bruxelles. Validé hier par le gouvernement du Royaume-Uni et par les dirigeants des 27 autres Etats membres de l’Union européenne, le texte final de l’accord – fort de 600 pages, d’un protocole consacré à l’Irlande et d’une déclaration politique sur l’avenir des relations bilatérales – doit maintenant passer devant la Chambre des communes et le Parlement européen, pour entrer en vigueur d’ici au 31 octobre. Il va de soi, toutefois, que l’obstacle majeur se trouve à Londres, où le premier ministre Boris Johnson défendra son texte samedi dans l’espoir d’obtenir, à l’arraché, une majorité qui le transformerait en grand vainqueur de cet épuisant feuilleton. Ce que les brexiters les plus durs de son parti, les unionistes nord-irlandais et l’opposition travailliste semblent résolus à empêcher…
Le reste, à savoir les modalités du divorce entre Londres et Bruxelles et le calendrier de celui-ci, est désormais fixé. Et ces modalités reprennent, peu ou prou, de nombreuses dispositions envisagées, voire acceptées, lors des négociations avec le précédent gouvernement britannique, dirigé par Theresa May. «Il n’y a pas réellement de surprises», a d’ailleurs annoncé d’emblée le négociateur en chef communautaire, Michel Barnier.
PRÉSIDENT DU CONSEIL EUROPÉEN
«Nous sommes désormais prêts sur les plans logistique, technique et politique»
Engagements financiers
Les droits des 4,5 millions de citoyens britanniques et communautaires installés de part et d’autre du «Channel» seront préservés. Le Royaume-Uni assumera ses engagements financiers, soit une ardoise évaluée entre 40 et 50 milliards d’euros. Les projets financés par l’UE au titre de l’actuel budget communautaire demeureront donc inchangés. La période de transition d’un an, à partir du 1er janvier 2021 (jusque-là, le Royaume-Uni fonctionnera comme un membre passif de l’Union, sans représentation dans ses instances), pourra être prolongée si nécessaire d’une année supplémentaire. «La sécurité juridique sera assurée, a poursuivi le président du Conseil européen, Donald Tusk. Nous sommes désormais prêts sur les plans logistique, technique et politique.» Le Parlement européen, qui devrait être saisi dans les prochains jours, a confirmé être prêt à examiner l’accord pour lequel sa ratification est indispensable.
Une concession de taille
Il fallait, pour en arriver là, lever un ultime verrou: celui de l’accès au marché unique européen de 500 millions de consommateurs par l’Irlande du Nord, seule frontière terrestre du Royaume-Uni avec l’UE. Or l’ironie suprême est que la solution trouvée avait, dans le passé, été rejetée par les Britanniques! Les produits exportés du Royaume-Uni vers l’UE seront en effet contrôlés à leur arrivée sur le territoire nord-irlandais. Lequel sera, pour tous les autres produits, partie intégrante de l’espace douanier britannique. Une concession de taille, toutefois, a été faite par Bruxelles: ces futurs contrôles tarifaires et réglementaires seront effectués par l’administration britannique, qui reversera les taxes au budget de l’UE. La question de la TVA, très épineuse, a sans surprise fait partie des sujets de négociation les plus épineux. Résultat: la clé du verrou irlandais du marché unique européen sera en partie confiée à des fonctionnaires d’un pays devenu tiers. Une acrobatie qui sera, si elle est entérinée, suivie de près en Suisse, tant la relation nouvelle entre le RoyaumeUni et les 27 devrait ressembler, in fine, à ce fameux accord-cadre toujours en négociation entre Berne et Bruxelles.
Cette comparaison avec la Suisse ne concerne évidemment pas la relation entre le RoyaumeUni et l’UE durant l’année à venir, puis durant la période de transition, au plus tard jusqu’à la fin de 2022. Elle vaut pour la «relation future» dont l’accord de jeudi fixe le cadre: Londres négociera avec Bruxelles un simple et unique accord de libre-échange. Par ce biais, le Royaume-Uni deviendra donc un pays tiers, tout comme la Confédération. Mais avec une nuance qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler les discussions complexes entre Berne et Bruxelles: par le document acté hier, les autorités britanniques s’engagent à préserver pour le futur un «socle commun» social, fiscal et réglementaire dans leurs relations commerciales avec l’UE. Pas de dumping à l’horizon, donc, en tout cas sur le papier. Là aussi, tout dépendra de la capacité de Boris Johnson à tenir sa parole.
Au final? Un pari autant qu’un accord. Le pari d’une volonté commune de sortir de cet imbroglio juridique par le haut. Le pari aussi, côté communautaire, d’une offre respectueuse de la volonté du peuple britannique. Tour à tour, le président du Conseil européen Donald Tusk, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker et le négociateur Michel Barnier ont redit leurs regrets de voir le RoyaumeUni quitter l’UE. «Notre porte demeure ouverte», a même risqué l’un d’eux. Comme si le Brexit, même consigné dans les textes, ne parvenait toujours pas à se matérialiser.
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Les autorités britanniques s’engagent à préserver un «socle commun» social, fiscal et réglementaire avec l’UE