Le Temps

Jusqu’à quand?

- ALEXIS FAVRE PRODUCTEUR D’«INFRAROUGE» (RTS) @alexisfavr­e

La Suisse est une île. Je ne vous apprends rien, vous le constatez aussi souvent qu’on vous le répète. Une île en son continent, un îlot de prospérité, un îlot de stabilité. Ici, les crises font toussoter, quand ailleurs elles lessivent. La Suisse ne fait rien comme les autres, surtout quand il s’agit de s’agiter. Elle surnage et surplombe, discrèteme­nt sûre d’elle. Ses rouages sont des horloges; sa monnaie un sanctuaire, pour tous et par tous les temps.

Puisque je ne vous apprends rien, pourquoi gaspiller du lignage? me demanderez-vous à juste titre. Parce que pardon, vous répondrai-je. Par les temps qui courent, le Sonderfall devient un peu trop criard pour ne pas s’y arrêter une seconde. L’exception suisse clignote comme jamais sur une mer déchaînée, comme jamais elle aussi.

Jamais, depuis la guerre froide et la fin de l’Histoire qui n’a pas eu lieu, le monde n’avait à ce point testé ses propres limites, vacillé sur ses certitudes, défié ses fondamenta­ux. Jungle géopolitiq­ue, hybris des ego, choc des puissants, guerres commercial­es, chacun pour soi, multilatér­alisme en berne: vu de haut, l’ordre internatio­nal est devenu un oxymore.

Pays par pays, c’est encore pire. Aux EtatsUnis, une solution orange, instable et en sursis, qui gigote dans le Bureau ovale. Au Royaume-Uni, son frère jumeau, ses outrances et le frisson existentie­l d’un divorce européen. En France, un président qui, après avoir retourné la table, surfe entre la colère et la panique d’un paysage politique en ruine. En Italie, un scénario à l’italienne, fois mille. Et au Moyen-Orient, le grand n’importe quoi. Où que l’on regarde s’ébroue l’incertitud­e et plane le doute. Sur ce terrain fumant, qui semble prêt à exploser encore un peu, la Suisse, elle, choisit tranquille­ment les 246 citoyens qui présideron­t à ses destinées législativ­es pour les quatre ans à venir. Quatre mille six cents candidats souriants et quelques partis, partis à l’assaut calme de la coupole fédérale. Une campagne heureuse et ennuyeuse, comme la Suisse. Çà et là quelques clips, sur les réseaux. Des questionna­ires de Proust à la chaîne et en format carré, parce que c’est à la mode et que ça parle aux jeunes. Des affiches qui ressemblen­t à s’y méprendre à celles de la dernière fois. Le tout pour un résultat qui aura la politesse tout helvétique de ne pas trop s’écarter de la marge d’erreur des sondeurs.

La Suisse est une île. Déterminée à le rester. Souhaitons-lui d’y parvenir, le plus longtemps possible. Parce que l’eau monte.

Le Sonderfall devient un peu trop criard pour ne pas s’y arrêter une seconde

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