«ON ÉTAIT LES ROLLING STONES DE LA PRESSE ROMANDE!»
SIX DATES, SIX VILLES ROMANDES, SIX THÉÂTRES. LES MEMBRES DE LA RÉDACTION DU «TEMPS» MONTÉS SUR SCÈNE POUR UN SPECTACLE DE JOURNALISME VIVANT REVIENNENT SUR L’AVENTURE
Porrentruy, 17 octobre, salle de l’Inter. Dernière date de la tournée du Temps monte sur
scène: dix journalistes et leurs invités, six villes et théâtres. Depuis le 18 septembre, La Comédie à Genève, Valère à Sion, Vidy à Lausanne, L’Heure bleue à la Chaux-de-Fonds, Nuithonie à Villarssur-Glâne, puis le Jura. Partout un accueil magnifique, les répétitions, l’attente, le trac, la scène et une certaine euphorie; des publics attentifs, des rencontres.
Pour les journalistes, l’aventure était inédite. Géraldine Schönenberg, correctrice qui a décrit son métier sur scène, résume: «Une expérience unique de dépassement de soi, de fraternité communautaire, de solidarité.» «J’ai aimé cette attention à la prestation de chacun, renchérit Alexandre Demidoff, journaliste culturel héritier d’une lettre de Marcel Proust, cette façon de trembler ou de vibrer en coulisses pour son camarade. C’est d’autant plus remarquable que nous nous connaissions peu: nous appartenons chacun à des rubriques ou des corps de métiers différents.» Yan Pauchard, qui a partagé avec les spectateurs un terrible fait divers, s’enthousiasme pour ce nouvel esprit d’équipe, «qui nous change, nous, journalistes, plutôt individualistes par essence. Les liens créés ont été forts. Déplacements, hôtels, afters, rituels, l’impression d’être une véritable troupe en tournée. On était les Rolling Stones de la presse romande!»
Il fallait cette solidarité pour conjurer la peur de la scène, cette «sensation jamais éprouvée, dit Géraldine: les jambes flageolantes, le coeur qui bat à tout rompre, l’impression que le sol va se dérober sous moi. Et la magie qui opère, le trac qui galvanise, le bonheur d’être sur scène malgré tout.»
Surmonter le trac, c’était la condition pour rencontrer les lecteurs en vrai. Sébastien Ruche, journaliste économique qui a voulu vendre son dossier médical, est frappé par «ce feed-back du public, plus ou moins instantané selon les salles. Il est difficile de savoir comment un article est reçu par les lecteurs. On sait le nombre de vues et le temps de lecture, on peut estimer là où les gens ont arrêté de lire. Parfois, on a des e-mails ou des appels, mais ça reste limité. Sur scène, le lien est direct, surtout dans les silences, quand on sent qu’on peut maintenir l’attention de l’audience en ne parlant pas pendant encore une seconde supplémentaire.»
A l’heure des fake news, se mettre en jeu dans un spectacle vivant n’est pas anodin. En témoigne Stéphane Bussard, qui a emmené le public à Guantanamo: «Ça a été pour moi une manière d’assumer mon histoire jusqu’au bout, en direct, en toute transparence, une manière d’être vrai, entier, sans artifice, authentique.» Philippe Simon, qui met en scène Le
Temps au quotidien et partage son art des titres, constate que le public veut mieux connaître les médias: «Après les représentations, c’est bien sûr le moment d’essuyer des critiques et des félicitations, mais c’est surtout celui de parler du journalisme avec les lecteurs-spectateurs. Ils sont intarissables: «Comment fait-on un journal, concrètement?» «Ce n’est pas un peu angoissant de faire ce métier dans le contexte économique contemporain?» «Et les fake news?» «La parole des journalistes est publique par essence, conclut la vidéaste Séverine Chave, qui a raconté ses reportages chez les antispécistes: monter sur scène, c’est abandonner toute forme de médiation pour s’adresser frontalement au lectorat, dans le même espace-temps. Une chose est certaine, à l’issue de cette expérience: il faudrait faire ça plus souvent.»