La Turquie suspend son offensive en Syrie pendant «120 heures»
La Turquie va suspendre son offensive dans le nord de la Syrie pendant cinq jours et y mettre fin après un retrait des forces kurdes de ce secteur, a annoncé jeudi le vice-président américain Mike Pence, à l’issue d’une rencontre avec Recep Tayyip Erdogan à Ankara
La visite de Mike Pence à Ankara n’aurait pas pu plus mal commencer. En se réveillant jeudi matin, quelques heures avant l’arrivée du vice-président américain, les Turcs prenaient connaissance d’une lettre surréaliste envoyée le 9 octobre par Donald Trump à leur président. «Ne jouez pas au dur! Ne faites pas l’idiot!» écrivait le pensionnaire de la Maison-Blanche à son homologue, espérant le convaincre de ne pas attaquer les Kurdes des Unités de protection du peuple (YPG). A 16h ce jour-là, Recep Tayyip Erdogan ordonnait le lancement de son offensive en Syrie et la missive trumpienne atterrissait dans la poubelle, ainsi que l’ont décrit des officiels turcs.
Le tollé provoqué par la publication de cette lettre – «la pire humiliation subie à ce jour par un président de la République de Turquie», selon un éditorialiste – se lisait sur le visage de Recep Tayyip Erdogan au moment d’accueillir Mike Pence dans son palais présidentiel. Aux photos sans sourire ont succédé près de quatre heures et demie d’échanges. La rencontre a duré bien plus longtemps que prévu, suggérant que les deux parties négociaient âprement les conditions d’un accord.
«Des millions de vies seront sauvées!»
Prenant tout le monde de vitesse, Donald Trump a confirmé le deal sur Twitter: «Grandes nouvelles en provenance de Turquie […] Merci Erdogan. Des millions de vies seront sauvées!» a écrit le dirigeant américain. Immédiatement suivi, en direct à la télévision, par une déclaration de son vice-président depuis Ankara: «Je suis fier d’annoncer que les Etats-Unis et la Turquie se sont mis d’accord sur un cessez-le-feu en Syrie. La partie turque va suspendre son opération pendant 120 heures pour permettre aux YPG de se retirer» sur 20 miles (32 kilomètres) au-delà de la frontière turque, a déclaré Mike Pence. Soit précisément la profondeur de la «zone de sécurité» réclamée depuis des mois par Recep Tayyip Erdogan.
Selon le vice-président américain, l’accord avec la Turquie prévoit notamment que cette dernière «ne mène aucune action militaire contre Kobané», la ville symbole du nord-est syrien qui avait scellé en 2014 le partenariat de Washington avec les forces kurdes lorsque ces dernières l’avaient arrachée au groupe Etat islamique. «Les EtatsUnis et la Turquie se sont engagés à une solution pacifique pour la zone de sécurité», a ajouté Mike Pence, affirmant que les YPG avaient déjà commencé à se retirer de la zone en question.
«Nous avons obtenu ce que nous voulions», s’est félicité dans la foulée le chef de la diplomatie turque, MevlütÇavuşoğlu, assurant que cette zone tampon serait sous le contrôle des forces armées turques et que les YPG abandonneraient leurs armes lourdes, selon l’accord avec Washington. Mais le ministre turc des Affaires
«Nous avons obtenu ce que nous voulions» MEVLÜT ÇAVUŞOĞLU, MINISTRE TURC DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
étrangères a aussi appelé à la prudence. «Nous suspendons l’opération, nous ne l’arrêtons pas […] Ceci n’est pas un cessez-le-feu, car un cessez-le-feu ne peut avoir lieu qu’entre deux parties légitimes», a insisté le ministre, expliquant qu’Ankara ne mettrait fin à son offensive que lorsque tous les combattants kurdes auraient évacué la zone.
Les cinq prochains jours seront donc d’importance critique. Si l’accord fonctionne, les relations turco-américaines seront revenues de loin. Depuis près de cinq ans, le soutien des Etats-Unis aux forces kurdes de Syrie nourrit la rancoeur des Turcs vis-à-vis Washington. Recep Tayyip Erdogan n’a jamais admis que Barack Obama, puis son successeur Donald Trump préfèrent ces Kurdes syriens issus du PKK (groupe classé terroriste par la Turquie, les Etats-Unis et l’Union européenne) à un allié de l’OTAN. Les autorités turques, et beaucoup de citoyens, l’ont vécu comme une trahison.
Retrait des sanctions
«Trump a dit lui-même que les Etats-Unis s’étaient en réalité alliés avec le PKK et que le PKK était une plus grande menace que Daech», observe Hüseyin, un fleuriste d’Istanbul, en référence à des propos tenus ces derniers jours par le chef de la Maison-Blanche. «En gros, il dit que les Etats-Unis sont les alliés des pires terroristes.»
Soucieux de se ménager un espace de négociations, Recep Tayyip Erdogan s’était gardé de riposter aux premières sanctions décrétées cette semaine par la Maison-Blanche. Donald Trump l’avait menacé d’autres représailles «dévastatrices» pour l’économie turque s’il s’obstinait dans son offensive. Mike Pence a écarté jeudi l’hypothèse de nouvelles sanctions contre Ankara et a annoncé le retrait des sanctions déjà prises en cas de réussite de l’accord. Recep Tayyip Erdogan est attendu à la Maison-Blanche le 13 novembre. Il doit encore confirmer sa visite.
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