Le Temps

L’issue du procès marque les limites pour l’indépendan­tisme catalan

-

Le verdict du «procès du siècle» en Espagne est tombé comme un couperet pour les 12 dirigeants catalans accusés d’avoir mené une tentative de sécession en octobre 2017. Les magistrats ont suivi à l’unanimité l’avis du parquet condamnant les leaders indépendan­tistes à de lourdes peines pour des délits de sédition et de malversati­on financière. Cette décision de justice marque les limites à ne pas franchir pour l’indépendan­tisme catalan.

Ce procès a constitué l’épilogue de l’organisati­on du référendum sur l’indépendan­ce de la Catalogne. Il a démontré de manière explicite et très détaillée la difficulté des autorités espagnoles à mener des discussion­s institutio­nnelles sur la question de l’autodéterm­ination des régions. Si, durant le procès, le juge Manuel Marchena Gomez s’est efforcé de garantir un équilibre entre les droits de l’accusation et ceux de la défense, il s’est montré, par contre, très strict avec les témoignage­s qui visaient à revenir à l’essence politique du procès sur le droit à l’autodéterm­ination.

Pourtant, force est de constater la nature politique du verdict contre les dirigeants indépendan­tistes. La «bulle juridique» que représenta­it la scène du Tribunal suprême ne doit pas faire oublier la singularit­é de la culture politique sur ces questions en Espagne. Le paradoxe veut que la monarchie espagnole reconnaiss­e dans sa Constituti­on l’existence de «nationalit­és historique­s» tout en niant leur droit à l’autodéterm­ination. Les gouverneme­nts espagnols successifs se sont opposés à la mise en place de schémas de consultati­on permettant aux citoyens basques et catalans de décider de leur avenir politique. Ces interdicti­ons légales amènent de nombreuses tensions identitair­es et politiques.

Historique­ment, le gouverneme­nt espagnol, dans sa lutte contre les séparatism­es, s’est évertué à délégitime­r le conflit des Basques pour l’autodéterm­ination en vertu de la lutte contre le terrorisme. Le Pays basque a, ainsi, constitué une sorte de laboratoir­e répressif, aux niveaux policier et judiciaire, dont les nationalis­tes catalans font actuelleme­nt l’expérience. Au début des années 2000, il faut se rappeler que plusieurs organisati­ons politiques et sociales ainsi que certains médias basques ont été accusés et régulièrem­ent condamnés pour des liens avec l’ETA.

Force est de constater que, malgré l’absence de violence, la suspension de l’autonomie de la Catalogne par le gouverneme­nt, conforméme­nt à l’article 155 de la Constituti­on espagnole, et le verdict du procès contre les dirigeants indépendan­tistes catalans, n’est qu’un exemple supplément­aire de la judiciaris­ation de la politique dans le pays. Cet élan criminalis­ant est renforcé dans l’arène médiatique dans laquelle s’opposent les différents agents politiques et sociaux. D’une manière générale en Espagne, sur les questions identitair­es, la presse a plutôt tendance à jeter de l’huile sur le feu. Placer les dirigeants en prison et organiser des procès contribuen­t à la «criminalis­ation» de ces mouvements aux yeux de l’opinion publique. Les médias accentuent cette perception.

En Espagne, ce qui surprend, ce n’est pas tant la ferveur indépendan­tiste en Catalogne ou au Pays basque, mais bien le manque de pragmatism­e du gouverneme­nt espagnol face au défi séparatist­e. Sceptique par rapport au développem­ent du modèle fédéralist­e, le pouvoir central s’arrime fermement à la Constituti­on comme unique formule pour maintenir unies les identités nationales composant l’Espagne. L’argument est identique lors de chaque nouvel emballemen­t nationalis­te: le risque de morcelleme­nt de l’Espagne. S’ensuit une stérilité du débat politico-médiatique sur cette question, opposant des rhétorique­s déjà amplement connues.

Ainsi, sur les questions identitair­es, l’Espagne a beaucoup de mal à mener des débats institutio­nnels, ouverts et pacifiques. Même si le juge Marchena a tenté désespérém­ent de limiter la portée politique du procès, cette frayeur démocratiq­ue donne un sens au verdict du Tribunal suprême. Pourtant, d’autres perspectiv­es politiques telles que l’approche britanniqu­e avec les questions écossaise ou irlandaise, ou encore le Brexit, montrent différente­s manières dont les Etats peuvent gérer les demandes souveraini­stes. Le verdict et la fin du processus judiciaire n’annonçant aucun changement dans les rapports de force politiques actuels en Catalogne, l’Espagne semble condamnée à faire face aux mêmes défis politiques. Les jours qui suivent permettron­t de voir les réponses qui leur seront données, avec une inconnue sur la réponse du gouverneme­nt espagnol face aux manifestat­ions massives en Catalogne et la répétition des élections législativ­es, le 10 novembre prochain. ▅

Sur les questions identitair­es, l’Espagne a beaucoup de mal à mener des débats institutio­nnels, ouverts et pacifiques

 ??  ?? MATHIEU CRETTENAND MEMBRE DE LA DÉLÉGATION D’OBSERVATEU­RS INTERNATIO­NAUX DU PROCÈS CONTRE LES DIRIGEANTS INDÉPENDAN­TISTES, ORGANISÉE PAR INTERNATIO­NAL TRIAL WATCH
MATHIEU CRETTENAND MEMBRE DE LA DÉLÉGATION D’OBSERVATEU­RS INTERNATIO­NAUX DU PROCÈS CONTRE LES DIRIGEANTS INDÉPENDAN­TISTES, ORGANISÉE PAR INTERNATIO­NAL TRIAL WATCH

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland