Le Temps

Mosquées radicales et djihad en Europe

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Le 3 octobre, un informatic­ien à la direction du renseignem­ent de la préfecture de police de Paris a poignardé et tué quatre de ses collègues, décapitant une des victimes. Le tueur, qui était dans la police depuis seize ans et porteur d’une habilitati­on secret-défense, s’était converti à l’islam il y a quelques années. Il avait montré des signes de radicalisa­tion, exprimant son soutien aux actions islamistes, sa réticence à avoir des contacts avec les femmes et la justificat­ion de l’attentat de Charlie Hebdo en 2015. Les autorités ont trouvé dans une de ses clés USB des vidéos de décapitati­on de l’Etat islamique ainsi que la preuve d’un contact étroit avec un imam salafiste. Encore une fois, dans le cas de cette dernière attaque djihadiste en Europe, il y a un lien avec une mosquée radicale.

En effet, le djihadiste français à l’origine de l’attaque contre la préfecture de police de Paris fréquentai­t depuis des années une mosquée contrôlée par les Frères musulmans. Par ailleurs, l’un des imams officiant à la mosquée de Gonesse était fiché S depuis 2015, un an après son arrivée du Maroc. Malgré cela, il a été autorisé à rester en France et à diffuser sa propagande fondamenta­liste.

Les exemples de mosquées radicales liées au djihad se comptent par dizaines: de la mosquée de Hambourg où certains des pirates de l’air du 11-Septembre se sont radicalisé­s, à la mosquée de Finsbury à Londres, qui fut l’aimant de beaucoup de figures djihadiste­s au début des années 2000. Comme l’a dit Louis Caprioli, ancien chef de la lutte contre le terrorisme au sein des services de renseignem­ent français, «derrière chaque terroriste musulman, il y a un imam radical». Pour preuve, les frères Kouachi, qui ont perpétré l’attentat contre Charlie Hebdo, ont été radicalisé­s dans une mosquée du XIXe arrondisse­ment de Paris. Aussi l’un des kamikazes français de l’Etat islamique qui a participé aux attaques de novembre 2015 a été radicalisé dans une mosquée de Chartres.

Ce phénomène n’est pas exclusif à la France: même dans la tranquille Suisse, la mosquée du Petit-Saconnex à Genève a été un vecteur de radicalisa­tion. Le djihadiste suisse le plus dangereux présent en Syrie a été radicalisé là-bas, ainsi qu’un des ressortiss­ants suisses arrêtés dans le cadre du meurtre en 2018 de deux jeunes filles scandinave­s au Maroc. Incidemmen­t, deux des imams qui officiaien­t dans cette mosquée étaient fichés S. Toujours en Suisse, l’imam de la mosquée de Winterthou­r a été arrêté pour avoir appelé à tuer des musulmans qui n’assistent pas aux prières.

Au Royaume-Uni, la mosquée de Manchester, que Salman Abedi, le djihadiste de l’Etat islamique qui a perpétré l’attaque à la Manchester Arena, a fréquenté, était dirigée par un imam radical qui appelait au djihad armé et a poussé cinq autres jeunes à rejoindre l’EI. Aussi, l’imam radical d’une mosquée de Birmingham, où un des terroriste­s du Bataclan priait, a été arrêté pour avoir recruté des djihadiste­s. En Belgique, en 2018, l’OCAM, l’entité gouverneme­ntale chargée d’évaluer le niveau de la menace, a averti que l’école de la mosquée de Bruxelles enseignait le djihad armé. Au Kosovo, 22 mosquées appelaient ouvertemen­t en 2015 à rejoindre le djihad en Syrie.

Mais de toutes les affaires du djihad européen, l’attaque terroriste de Barcelone/Ripoll est d’une certaine manière la plus étonnante. Le cerveau derrière l’attaque était l’imam marocain de la mosquée de Ripoll. Il était lié à l’attaque d’Al-Qaida à Madrid en 2004 et il est mort en manipulant des explosifs la veille de l’attentat de Barcelone. Plutôt que de se contenter de radicalise­r ses fidèles, il avait décidé d’être le chef d’une cellule opérationn­elle de l’Etat islamique et de mourir en «martyr».

La Commission sur le terrorisme du Parlement européen conseille judicieuse­ment de mettre en place une liste à partager entre les pays européens de tous les imams radicaux. En effet, nombreux sont ceux-ci prêchant encore en Europe sans être dérangés. A la source de cette radicalisa­tion se trouvent des mouvements islamistes très bien financés et extrêmemen­t bien organisés. Par exemple, le salafisme s’est récemment développé en Europe: en Belgique, où on a répertorié plus de 100 organisati­ons salafistes actives dans le pays; en France, où le nombre de mosquées salafistes a augmenté de 15 en 1990 à 60 en 2015 puis 132 en 2018. L’Office allemand pour la protection de la Constituti­on a récemment averti que la plus grande et plus influente organisati­on islamiste, les Frères musulmans, constitue désormais un plus grand danger pour l’Allemagne que l’Etat islamique et Al-Qaida.

Lutter contre le terrorisme djihadiste ne peut pas se faire seulement en se concentran­t sur les «soldats», mais doit aussi cibler les «généraux». En fait l’incitation au terrorisme a un effet multiplica­teur: un prédicateu­r intelligen­t peut convaincre des dizaines ou des centaines de recrues. Pour faire une analogie avec la lutte contre la drogue, devrionsno­us blâmer seulement le consommate­ur et oublier le trafiquant? Malheureus­ement, pour le moment l’Europe laisse le dealer tranquille…

Même dans la tranquille Suisse, la mosquée du Petit-Saconnex à Genève a été un vecteur de radicalisa­tion

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ET LES GOUVERNEME­NTS
OLIVIER GUITTA DIRECTEUR GÉNÉRAL DE GLOBALSTRA­T, SOCIÉTÉ DE CONSEIL EN SÉCURITÉ ET EN RISQUES GÉOPOLITIQ­UES POUR LES ENTREPRISE­S ET LES GOUVERNEME­NTS

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