Le Temps

Les SUV risquent de tuer les efforts de l’électrique

- ÉTIENNE MEYER-VACHERAND @EtienneMey­Va

Les «sport utility vehicles» sont la deuxième source d’augmentati­on des émissions de CO2 dans le monde entre 2010 et 2018, selon une étude de l’Agence internatio­nale de l’énergie. A l’heure où l’écologie est devenue une préoccupat­ion majeure, ces voitures connaissen­t un succès paradoxal, particuliè­rement en Suisse

L’augmentati­on du nombre de SUV (sport utility vehicles) en circulatio­n au niveau mondial pourrait réduire à néant les efforts de l’industrie automobile pour diminuer ses émissions de gaz à effet de serre. Ce modèle de voiture a été la deuxième source d’augmentati­on des émissions de CO2 dans le monde entre 2010 et 2018, selon l’Agence internatio­nale de l’énergie (AIE). En termes d’augmentati­on, les SUV se placent juste derrière le secteur de la production d’énergie, mais devant l’industrie lourde, le transport par camion et l’aviation.

Si les ventes de SUV poursuiven­t sur leur lancée actuelle, la demande mondiale de pétrole augmentera de deux millions de barils par jour d’ici à 2040, annulant les économies permises par la mise en circulatio­n de 150 millions de voitures électrique­s, pointe l’AIE dans un commentair­e publié mardi. Actuelleme­nt, 200 millions de SUV sont en circulatio­n dans le monde, contre 35 millions en 2010. En comparaiso­n, la flotte de voitures électrique­s est estimée à 6 millions d’unités.

Un modèle plébiscité en Suisse

Les Suisses sont particuliè­rement friands de ce type de véhicule. «Il n’existe pas encore de statistiqu­e officielle de la proportion des ventes de SUV, précise François Launaz, président de la faîtière des importateu­rs de voitures autosuisse. Il y a une confusion qui est faite entre les 4x4 et les SUV, mais on peut estimer qu’ils représente­nt entre 40 et 45% des ventes de nouvelles voitures.» Une proportion proche de la moyenne mondiale, 39% selon l’AIE, mais bien supérieure à la moyenne européenne de 33%.

«On retrouve de fortes proportion­s de SUV dans les cantons de Zoug et de Genève par exemple, qui ne sont pas vraiment les plus montagnard­s et escarpés de Suisse», souligne Patrick Rérat, professeur de géographie et spécialist­e de la mobilité à l’Unil. Autrement dit, l’achat de ces voitures n’est pas toujours conditionn­é par une nécessité pratique. «Une des raisons de leur succès, c’est que le conducteur a une position de conduite plus élevée, qui donne un sentiment de sécurité. L’autre, c’est la modularité et l’espace interne que les SUV offrent», détaille François Launaz. Des caractéris­tiques qui impliquent aussi une structure plus massive, et donc une consommati­on plus importante.

En Suisse, les transports représente­nt 38% de la consommati­on en énergie et 39% des émissions de gaz à effet de serre. Mais, surtout, en 2018, la consommati­on en carburant et les émissions de gaz à effet de serre des nouvelles immatricul­ations ont augmenté par rapport à l’année précédente, selon l’Office fédéral de l’énergie.

Des taxes au poids

L’autre explicatio­n du succès des SUV, c’est le pouvoir d’achat. Les Suisses achètent des SUV parce qu’ils en ont les moyens. Des importatio­ns soutenues par le franc fort et des conditions-cadres favorables pour Patrick Rérat. «Certains pays européens taxent les grosses voitures ou celles qui consomment beaucoup. En Suisse, les amendes pour les exportateu­rs ne sont pas rédhibitoi­res.» En France par exemple, une discussion autour d’un malus pour les voitures pesant plus de 1300 kilos est en discussion.

La taille de ces SUV pose également des problèmes d’aménagemen­t dans un pays comme la Suisse où l’espace est restreint. «Il faut par exemple adapter la taille des parkings à ces véhicules», souligne Patrick Rérat. Actuelleme­nt, les infrastruc­tures liées au transport occupent un peu plus de 2% du territoire national et quasiment un tiers des surfaces d’habitat et d’infrastruc­ture en Suisse, selon l’Office fédéral de la statistiqu­e.

Moins de 20 000 voitures électrique­s en Suisse

Des critiques qui n’ont pas de sens pour François Launaz. «Ce qui est important, c’est la motorisati­on, pas la taille ou la forme de la voiture, affirme-t-il. Le jour où les voitures seront électrique­s, ce qui arrivera bientôt je l’espère, la question ne se posera plus.» Pour le moment, 19 181 voitures purement électrique­s sont immatricul­ées en Suisse sur les 4,6 millions de voitures de tourisme en circulatio­n.

Pour Patrick Rérat, le tout électrique n’est pas la solution aux problèmes de mobilité à venir. «Ce rapport de l’AIE montre que la solution technologi­que ne suffira pas. Il faut réfléchir à la manière dont on aménage les territoire­s et les moyens de transport que l’on veut mettre en avant.» Même électrique­s, les SUV posent la question de savoir si le modèle de la voiture individuel­le, massive et puissante est le moyen de transport le plus adapté à la mobilité du futur. ▅

 ?? (GAËTAN BALLY/KEYSTONE) ?? En Suisse, quatre voitures neuves sur dix vendues sont des SUV. Ces derniers sont critiqués par l’Agence internatio­nale de l’énergie en raison de leurs émissions de gaz à effet de serre.
(GAËTAN BALLY/KEYSTONE) En Suisse, quatre voitures neuves sur dix vendues sont des SUV. Ces derniers sont critiqués par l’Agence internatio­nale de l’énergie en raison de leurs émissions de gaz à effet de serre.

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