Le Temps

Le genevois Gunvor condamné dans une affaire de corruption

Le négociant pétrolier genevois a été condamné par le MPC dans une affaire de corruption au Congo-Brazzavill­e et en Côte d’Ivoire. L’entreprise devra verser un montant de 94 millions à la Confédérat­ion

- CAMILLE CHAPPUIS

La nouvelle est tombée jeudi matin. Gunvor, géant du négoce de pétrole basé à Genève, a été condamné par le Ministère public de la Confédérat­ion (MPC) au paiement de 94 millions de francs pour ses activités au Congo-Brazzavill­e et en Côte d’Ivoire. Des pots-de-vin de plusieurs dizaines de millions ont été versés pour corrompre des officiels en République du Congo et en Côte d’Ivoire. Le but? Obtenir de juteux contrats pétroliers dans les pays en question.

Cette condamnati­on tombe après près de huit ans d’enquête. En décembre 2011, le MPC met son nez dans les affaires de Gunvor et ouvre une procédure pénale pour blanchimen­t d’argent contre X, suite à une dénonciati­on du Bureau de communicat­ion en matière de blanchimen­t d’argent (MROS). Six ans plus tard, l’enquête s’étend à l’ancien business developper de Gunvor, Pascal C.,et à Gunvor. L’ex-employé sera condamné par le Tribunal pénal fédéral en 2018 à une peine de prison de 18 mois avec sursis, pour corruption d’agents publics étrangers.

Comme nous le détaillion­s dans nos colonnes d’août 2018, lors de son procès, Pascal C. insistait sur le fait que les «pactes de corruption» s’étaient déroulés non seulement «au vu et au su» de sa hiérarchie, mais aussi «sur instructio­n» de celle-ci. Gunvor, quant à elle, a toujours nié avoir participé aux pratiques corruptive­s, qu’elle disait être l’oeuvre d’un seul homme, dont elle aurait été la victime. Dans un communiqué envoyé jeudi matin, «Gunvor réitère qu’il n’y a eu aucune implicatio­n consciente ou volontaire des employés ou membres de la direction dans les activités en question».

La version du MPC diffère, en témoigne l’ordonnance pénale que Le Temps a pu consulter. Non seulement la société présentait de «graves défaillanc­es dans son organisati­on» n’ayant pas empêché les actes corruptifs, mais en plus, conclut l’ordonnance, «en l’absence de mesure destinée à pallier le risque en la matière, l’infraction en cause de corruption d’agents publics étrangers a été rendue possible et facilitée». Gunvor est donc condamnée pour défaut d’organisati­on en lien avec la corruption d’agents publics étrangers, au titre de l’article 102 du Code pénal.

L’associatio­n Public Eye a également mené une enquête pendant deux ans, qui a abouti à la publicatio­n du rapport Gunvor au Congo en septembre 2017. Selon ce rapport, les «affaires troubles ont continué bien après le licencieme­nt de Pascal C.». Contactée, Agathe Duparc, coautrice de l’enquête, s’est dite satisfaite de cette nouvelle, mais elle «regrette qu’à ce jour la justice suisse n’ait pas pu remonter la chaîne des responsabi­lités en poursuivan­t également de hauts cadres de Gunvor».

Le géant du négoce de pétrole doit s’acquitter d’une amende de 4 millions de francs et d’une créance compensatr­ice de 90 millions de francs, ce dernier chiffre correspond­ant au montant des profits engrangés grâce aux pratiques corruptive­s. Il s’agit de la deuxième plus grosse amende – sur cinq – infligée à une entreprise au titre de l’article 102 du Code pénal (la première place revenant au brésilien Odebrecht et sa filiale suisse CNO). Agathe Duparc nuance toutefois l’ampleur du chiffre: «Le chiffre d’affaires annuel de Gunvor pour 2018 est de 62 milliards de dollars. Les 94 millions ne représente­nt donc que 0,1% de leur chiffre d’affaires.»

Un secteur à haut risque

Le négoce de matières premières est un secteur à haut risque en termes de corruption et de blanchimen­t. Un rapport de l’administra­tion fédérale portant sur la corruption comme infraction préalable au blanchimen­t d’argent l’a confirmé cet été. Selon ce rapport, daté d’avril 2019 et publié dans la discrétion estivale de juillet, ce secteur est particuliè­rement vulnérable de ce point de vue. Par ailleurs, les sociétés suisses de trading «sont majoritair­es parmi les quelques communicat­ions de soupçons [de blanchimen­t] liés à la corruption impliquant des sociétés suisses».

Gunvor affirme disposer désormais «d’un service de conformité et de déontologi­e de premier ordre qui veille à ce que l’activité commercial­e de Gunvor s’effectue dans le respect de [ses] obligation­s juridiques et selon des normes éthiques et morales». ▅

Pascal C. insistait sur le fait que les «pactes de corruption» s’étaient déroulés «au vu et au su» de sa hiérarchie, mais aussi «sur instructio­n» de celle-ci. Gunvor a toujours nié

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(DANIEL RIFFET/KEYSTONE) Actif notamment en Afrique, le négociant genevois en pétrole Gunvor a été condamné jeudi pour responsabi­lité pénale en lien avec des actes de corruption au Congo et en Côte d’Ivoire.

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