Edith Müller Loretz discute des accidents en dehors du travail
Même si la sécurité sur le lieu de travail s’améliore depuis des années, les nombreux accidents durant le temps libre restent problématiques pour les entreprises. Edith Müller Loretz, membre de la direction de la Suva et cheffe du département protection d
Près d’un demi-million d’accidents et de maladies professionnelles ont été déclarés à la Suva en 2018, soit 2% de plus qu’en 2017. A quoi cette augmentation est-elle due? Edith Müller Loretz:
L’année dernière, nous avons enregistré une augmentation des accidents par rapport au nombre d’employés à plein temps, aussi bien en nombre absolu que proportionnellement. Cela est lié principalement aux nombreux accidents durant le temps libre. Selon les statistiques, le football et le ski sont manifestement les activités qui présentent les plus grands risques d’accidents. Qu’est-ce que la Suva entreprend concrètement pour réduire les risques de blessure dans ces sports?
Nous travaillons en étroite collaboration avec l’Association suisse de football et nous contrôlons régulièrement nos mesures en fonction de leur efficacité. Depuis plusieurs années, nous avons par exemple obtenu de très bons résultats au niveau des tournois amateurs. Dans les sports de neige, ce nombre dépend fortement des conditions extérieures et de la durée de la saison de ski, il est donc plus difficile de mesurer l’efficacité des programmes, notamment leur évaluation sur la seule base de moyennes annuelles. Quelle est l’efficacité de vos efforts en matière de prévention?
A eux seuls, nos efforts ne sont effectivement pas suffisants. Dans des sports de compétition comme le football, la sévérité de l’arbitre joue un grand rôle pour prévenir le risque de blessure. Nous avons donc besoin de bons arbitres et nous nous efforçons de mettre en place des mesures préventives à travers l’Association suisse de football. Dans les sports de neige, nous essayons de communiquer directement avec les sportifs amateurs.
Comment? Nous avons par exemple lancé un test qui porte sur divers éléments de risque. Les adeptes des sports de neige peuvent ainsi évaluer euxmêmes s’ils sont bien préparés, s’ils se sont suffisamment échauffés et dans quelle mesure leur façon de skier est risquée. A long terme, nous nous efforçons d’influencer le comportement de tous, afin qu’ils pratiquent leur sport de manière sûre. C’est un processus de longue haleine, qui exige de la patience. Quels sont les risques concernant les nouveaux sports à la mode comme le paddle ou les vélos et trottinettes électriques?
Le paddle n’est pas vraiment problématique car il ne produit que des accidents à faible gravité. Pour les vélos électriques, nous observons la situation très attentivement, en collaboration avec des partenaires comme le Bureau de prévention des accidents (bpa). Il faudrait, par exemple, étudier l’introduction du port du casque obligatoire pour tous les conducteurs de vélo électrique, y compris les enfants, et pas seulement pour les conducteurs de vélos électriques rapides (jusqu’à 45 km/h). Dans le domaine des loisirs, nous misons beaucoup sur la motivation individuelle des gens à se protéger. Qu’est-ce que les entreprises peuvent et doivent faire pour éviter que leurs employés ne soient victimes d’accidents durant leurs loisirs?
Les entreprises sont fondamentalement responsables de la sécurité de leurs collaborateurs dans le cadre du travail. Elles ont bien entendu un grand intérêt à réduire les absences dues à des accidents. Notre stratégie, que nous abordons en collaboration avec les entreprises, vise le comportement: si les gens sont attentifs à leur sécurité sur leur lieu de travail, on peut s’attendre à ce qu’ils le soient aussi dans leurs loisirs. Parallèlement, nous attirons l’attention des gens sur ce que nous appelons des «points de danger» sur les pistes de ski, les terrains de foot et les tournois amateurs. Comment les entreprises suisses se situent-elles en comparaison internationale?
Les comparaisons internationales sont difficiles, parce que chaque pays a sa propre organisation en matière d’assurance accidents, et qu’on ne dispose par conséquent pas de chiffres comparables. A travers des échanges sur le thème des accidents, nous pouvons cependant tirer profit de nos expériences mutuelles partagées par-delà des frontières au sujet des mesures techniques et organisationnelles. Concernant la sécurité et la santé sur le lieu de travail, certains secteurs restent problématiques. Où se situe le blocage au niveau de la prévention dans ces secteurs?
Il y a effectivement des activités, comme le bûcheronnage ou la construction, qui comportent plus de risques, sans vouloir particulièrement les pointer du doigt. Nous travaillons en étroite collaboration avec les entreprises et avons des programmes spécifiques pour celles qui présentent un risque élevé dans leur secteur. Nous analysons leur situation initiale afin d’élaborer des mesures de sécurité spécifiques. L’élaboration de règles inhérentes aux différents secteurs fait donc partie de nos tâches. Parallèlement, nous accompagnons les entreprises avec un potentiel de prévention élevé afin de les aider à mettre en oeuvre ces règles.
Il existe également un système de bonus-malus au niveau des primes, lié au profil de risque de chaque entreprise. Nous utilisons d’ailleurs aussi des techniques de benchmarking. Cet instrument nous montre, par exemple, qu’il est possible de réduire le nombre d’accidents dans un secteur à risque, grâce à des efforts de prévention. Quels sont les accidents et les maladies professionnels qui restent en progression?
Les problèmes liés à l’appareil locomoteur. Autrefois, on observait des problèmes de dos liés au transport de lourdes charges. Aujourd’hui, nous avons des problèmes parce que nous restons assis toute la journée devant nos écrans d’ordinateur. Et puis, il y a les absences liées au stress, qui nous préoccupent de plus en plus. Un burn-out entraîne généralement une absence de plusieurs mois. Comment peut-on prévenir cet épuisement psychologique?
Nous nous efforçons de réduire le stress au travail à l’aide de plusieurs programmes de prévention ciblés. Un burn-out peut avoir des causes très diverses, qu’il faut déterminer pour pouvoir agir de manière vraiment efficace. Il est important de noter que le stress peut aussi être un facteur de risque d’accident. Dans ce contexte, une gestion saine du stress est un élément central. Nombreux sont ceux pour qui la flexibilisation et les nouveaux modèles de travail dans le monde numérique posent problème. Cela se reflète-t-il également dans les statistiques de la Suva?
La numérisation tendra à réduire le nombre d’accidents professionnels, en remplaçant l’humain dans des tâches dangereuses ou répétitives. Si une personne ne doit plus que piloter la machine, le danger est réduit, mais change également de nature. Pour nous, le défi consiste à observer comment l’humain interagit avec la machine et si cela entraîne de nouveaux dangers. Quels avantages la Suva attend-elle de la numérisation?
Nous mettons à profit la numérisation notamment pour influencer le comportement des gens à travers des applis. Il existe également des systèmes informatiques vestimentaires («wearables») et divers capteurs permettant, par exemple, de mesurer le pouls et la température corporelle. La numérisation nous offre donc de nombreuses possibilités et fournit des données qui nous permettent immédiatement de mieux cibler nos messages de prévention. Un jour, nous pourrons peut-être prévoir un accident à l’aide de l’intelligence artificielle et l’éviter à temps. Mais nous n’en sommes pas encore là. L’article relatif à la surveillance dans les assurances sociales, que le peuple a approuvé en novembre 2018, est entré en vigueur le 1er octobre. Combien de détectives privés la Suva envoie-t-elle désormais pour traquer les fraudeurs?
La Suva prend très au sérieux la sphère privée de ses assurés et ne met en place des observations qu’en tout dernier ressort. La priorité absolue est de protéger nos assurés contre les abus. La grande majorité d’entre eux sont honnêtes. Jusqu’en automne 2016, nous avons effectué environ 15 observations par an. Nous ne nous attendons pas à une augmentation importante de ce nombre. Mais nous continuerons d’être attentifs en cas de soupçon de fraude à l’assurance. De cette manière, nous évitons le paiement de prestations non justifiées sur le dos de la grande majorité des assurés honnêtes.