Du rendement sur le dos des ouragans
Les caisses de pension et les fonds sont de plus en plus nombreux à placer des parts limitées de leurs avoirs dans des «obligations catastrophe», en raison de leur rendement attrayant
Les dégâts causés par Katrina, en 2005, hantent encore la mémoire collective américaine. Année après année, les grands ouragans changent de nom, mais les images d’inondations, de palmiers secoués par les vents extrêmes ou de toitures qui s’envolent restent. Le prix des dégâts aussi: selon les estimations du Bureau de la gestion côtière américain, Katrina aurait coûté 160 milliards de dollars.
Dans ce contexte de catastrophe, les titres assurantiels (ou ILS pour Insurance-Linked Securities), avec leur variante la plus connue que sont les obligations catastrophe (cat bonds) se sont durablement établis: selon une étude de la société Complementa, spécialisée dans les conseils en investissement, les caisses de pension placent de plus en plus d’argent dans ces produits.
A première vue, ceux-ci ne représentent qu’une part modeste de l’ensemble des placements, soit 1,1% du total. Si l’on considère en revanche l’ensemble des quelque 500 caisses de pension suisses interrogées, on remarque un investissement dans les ILS de plus de 7,1 milliards de dollars, ce qui correspond à une part de 11% des placements alternatifs. En 2014, cette part n’atteignait encore que 0,5%.
Nature binaire du risque
Selon Alexander Braun, de l’Institut d’économie des assurances de l’Université de Saint-Gall, la titrisation des risques d’assurance convient avant tout comme instrument pour des risques low-frequency high-severity, autrement dit de faible fréquence mais de gravité élevée. Aujourd’hui, ils concernent surtout les risques de catastrophes naturelles telles que des ouragans ou des tremblements de terre. L’accent est mis sur les Etats-Unis, l’Europe et le Japon. «A l’avenir, on peut toutefois également imaginer la titrisation d’autres risques extrêmes, comme les cyberattaques ou les attaques terroristes. Les marchés émergents et la Chine sont également intéressants dans ce domaine», relève Alexander Braun.
En revanche, les ILS conviennent moins bien pour des investisseurs privés. «Ils représentent une alternative intéressante principalement pour des investisseurs institutionnels qui visent un revenu fixe et recherchant un rendement élevé dans l’environnement actuel marqué par des taux nuls.» Les acheteurs d’ILS ne sont pas seulement des fonds spécialisés, mais aussi des caisses de pension et d’autres investisseurs institutionnels. Ils doivent également être conscients de la nature binaire du risque, avertit Alexander Braun: «Cette classe d’actifs peut dégager un très bon rendement pendant des années, puis présenter soudain des pertes importantes en cas d’événement extrême.»
Proche des «junk bonds» sans en être
Les obligations catastrophe offrent un format familier aux investisseurs recherchant un revenu fixe. Le profil de risque le plus proche est celui des obligations à haut risque ou junk bonds, pour lesquelles un défaut de l’émetteur a des conséquences similaires. De fait, les investisseurs institutionnels achètent ces produits parce qu’ils perçoivent des coupons typiquement entre 4 et 6%. «Les obligations à haut risque présentent l’inconvénient d’être corrélées avec les mouvements baissiers du marché des actions, à travers des ralentissements économiques et des récessions, ce qui n’est pas le cas des catastrophes naturelles», indique Alexander Braun.
Les émissions d’ILS ont atteint, à l’échelle mondiale, un niveau record de 40 milliards de dollars en deux ans, selon le service spécialisé Artemis, malgré un recul au deuxième trimestre de cette année. La compagnie d’assurances et de réassurance zurichoise Swiss Re participe également à la composition et à la gestion de tels fonds. En juin 2019, elle a émis une nouvelle obligation catastrophe, six ans après la précédente. Baptisée Matterhorn Re et emmenée par une demande forte, elle présente un volume de 250 millions de dollars et assure les pertes liées aux tempêtes de haute intensité dans le nord-est et sur la côte Est des Etats-Unis.
Dans le cas du Matterhorn Re, les investisseurs bénéficient d’un rendement autour de 9% pour autant que les dommages assurés ne dépassent pas le seuil prédéfini de 17,5 milliards de dollars durant les deux prochaines saisons d’ouragans sur la côte Est des Etats-Unis. La probabilité d’enregistrer une perte pendant la durée du placement est de 3,8%.
Diversification du portefeuille
Les ILS génèrent rarement des rendements négatifs, mais si c’est le cas, ceux-ci peuvent alors être nettement négatifs, comme l’ont relevé récemment Alexander Braun et ses collègues dans un article publié dans le Journal of Banking and Finance.
«Les ILS représentent une classe d’actifs qui se prête très bien à la diversification d’un portefeuille, en raison de leur faible corrélation avec des éléments classiques comme des actions ou des emprunts», relève Alexander Braun. «De plus, cette classe d’actifs a dégagé un rendement particulièrement élevé sur la
période étudiée par nos soins.» Aux investisseurs sans grande expérience dans la réassurance, Alexander Braun recommande de limiter l’allocation de 1 à 5% de l’ensemble du portefeuille. La raison à cela réside dans l’insécurité inhérente à ce modèle et dans le caractère binaire du risque. «La volatilité ne donne pas, ici, une image complète du risque», souligne-t-il.
Les analystes de Morgan Stanley attribuent la stagnation de ce marché pour cette année aux paiements élevés des obligations catastrophe aux victimes des ouragans de ces dernières années. «La base des investisseurs s’est considérablement élargie, et au cours de cette dernière décennie, les cédants ont accepté les ILS comme partie intégrante des mécanismes de transfert des risques.» A un moment donné, un équilibre devrait s’établir entre le transfert des risques par le biais des réassurances classiques et de la titrisation. «Jusque-là, les ILS ont encore une bonne marge de croissance, dans la mesure où seuls 15 à 20% du volume de réassurance à l’échelle mondiale passent actuellement par le marché des capitaux.»