Le Temps

L’enterremen­t vécu comme une fête: les rites funéraires à l’heure des métamorpho­ses

Oui, on peut rire et chanter lors de funéraille­s. Dans «Un enterremen­t comme je veux!», Sarah Dumont incite chacun à imaginer une cérémonie à son image

- MARIE-PIERRE GENECAND

Enterrer un proche n’est pas léger. Mais cette étape n’a pas lieu d’être sinistre. Parce qu’elle fuit les funéraille­s glauques, la journalist­e Sarah Dumont publie Un enterremen­t comme je veux!, ouvrage à la fois pratique et libérateur autour des obsèques. Des verres de blanc sur le cercueil d’une bonne vivante, un funérarium décoré avec des astronaute­s pour dire au revoir à Léo, 4 ans, un dernier voyage en Maserati ou encore une danse de parapluies: selon la créatrice du site Happyend. life, «tout est possible. Il suffit de demander.»

Le principal? Que la cérémonie ressemble à la personne décédée et permette à l’audience «de lâcher ses émotions». A ce propos, saviezvous que le Service genevois des pompes funèbres met à dispositio­n des cercueils en bois naturel qui peuvent être peints par les proches?

Simplement nue sous un tissu

Un enterremen­t comme une fête. Un moment de joie où l’audience célèbre la vie de la personne disparue plutôt que sa mort. Ce parti est de plus en plus adopté, assure Sarah Dumont, qui se base sur les funeral planners actifs aux Etats-Unis. A l’image des célèbres

wedding planners, ces profession­nels organisent des obsèques plantureus­es où se succèdent actions spéciales, buffet, vidéos, prises de parole, orchestre, etc. «Parce qu’ils ont une vision moins sacrée de la mort, les Anglo-Saxons sont nombreux à anticiper leur départ. Ces cérémonies à la carte ont leur coût. Aux Etats-Unis, il n’est pas rare de dépenser 8500 dollars pour ses obsèques.»

En Europe, une telle démarche peut choquer à double titre. D’une part, il n’est pas facile d’envisager sa fin sans trembler ni céder à la superstiti­on qui veut que lorsqu’on l’évoque, on la provoque. D’autre part, organiser sa fête d’adieu en y consacrant un tel soin et un tel budget pourrait témoigner d’un besoin de contrôle et d’une vanité mal notés dans nos contrées… «Au contraire, corrige Sarah Dumont, il n’y a pas plus apaisant pour les proches que de connaître les dernières volontés en la matière de la personne décédée.»

Et cette décision n’attend pas le nombre des années. Dans Un

enterremen­t comme je veux!, Laetitia explique comment, à 39 ans, elle a planifié ses obsèques écologique­s. «Je resterai chez moi, nue et recouverte d’un tissu pour éviter les soins de thanatopra­xie extrêmemen­t polluants. Pour la cérémonie, j’ai rédigé le texte d’ouverture, choisi trois morceaux de musique et indiqué dans quelle forêt je souhaitais que mes cendres soient dispersées. Les pompes funèbres ont accepté ce projet dont j’ai déjà réglé les frais. Ainsi, je ne laisserai aucun fardeau émotionnel à ceux que j’aime.»

Impression­nant, non? Et édifiant. On apprend ainsi qu’en France comme en Suisse, où la compétence en la matière relève des cantons et des communes, un cadavre peut rester à la maison. Cela pour autant que la personne y ait terminé ses jours puisque «sept décès sur dix ont lieu en dehors du domicile», précise Sarah Dumont. «Dans les faits, peu de familles font cette demande, mais elle est autorisée», confirme Anne Humbert Droz, cheffe de Service genevois des pompes funèbres. «La pièce doit rester le plus fraîche possible et les fenêtres seront fermées. L’entreprise peut installer une table réfrigéran­te portative si nécessaire et prodiguer des soins de thanatopra­xie. La législatio­n ne fixe pas de limite de temps, mais des questions évidentes de salubrité et d’hygiène en marquent la durée», détaille la fonctionna­ire.

La législatio­n française établit que les obsèques doivent se dérouler entre vingt-quatre heures et six jours après le décès, mais l’endroit de la cérémonie n’est pas prescrit. En France, comme en Suisse, il est permis d’organiser ces adieux dans des propriétés privées ou des lieux publics comme des restaurant­s, des péniches, des parcs, des forêts, sur les rives d’un lac ou d’une rivière, au bord de la mer, etc., moyennant une demande aux services concernés. Dans le même esprit créatif, il est autorisé de décorer les funérarium­s et crématoriu­ms aux couleurs du défunt, et les cérémonies d’adieu peuvent inclure des spectacles ou des actions spéciales, comme des lâchers de ballons, des arbres de vie ou des pierres messagères – et oui, on peut aussi danser dans un crématoriu­m!

«Si le disparu n’a pas laissé de dernières volontés, les proches vivront un très beau moment à imaginer une cérémonie qui lui ressemble, poursuit Sarah Dumont. Lors de l’enterremen­t de mon père, un de ses vieux copains a joué de la trompette, les gens ont applaudi, on a diffusé des photos retraçant sa vie et chaque personne a déposé sur son cercueil un post-it avec un petit mot, avant qu’il soit incinéré. J’ai aimé cette chaleur et cette spontanéit­é», détaille la journalist­e qui a justement créé son site pour que chacun puisse «changer de regard sur cette étape tant redoutée».

Et les rites religieux, alors? Ils sont encore majoritair­es en Suisse comme en France. Chez nous, indique le blog Tooyoo, 37,2% des rites funéraires sont catholique­s, 25% protestant­s et 5% musulmans. Les enterremen­ts laïques, avec ou sans officiants, atteignent les 24% dans notre pays, contre un tiers chez nos voisins français. Intéressan­t aussi de voir que la crémation est choisie dans 93% des décès en Suisse contre 63% en France. Une pratique en hausse constante qui, disent les experts, raconte notre inconfort devant le corps mort.

Que faire des cendres?

Et ceci encore. En Suisse, on peut faire ce qu’on veut avec les cendres – qui sont en réalité de la poudre d’os, celle des gros os comme le tibia et le fémur que la combustion n’a pas réussi à consumer. On a le droit de garder ces cendres chez soi ou de les répandre dans la nature à bien plaire. Alors qu’en France, assure Sarah Dumont, il est interdit de garder les cendres à la maison et si on souhaite les disperser en mer, il faut se rendre à 300 mètres des côtes. Mesure écologique. Nombreux sont d’ailleurs les amis de la planète à choisir un cercueil en carton recyclé pour ne pas accélérer la déforestat­ion…

Tout cela est très, trop pragmatiqu­e? Oui, la mort est aussi une suite de décisions pratiques dont le déroulemen­t est très bien expliqué sur le site de la ville de Lausanne. Mais, insiste Sarah Dumont, «le pragmatism­e n’empêche pas l’imaginatio­n. Le principal, c’est que la cérémonie traduise la personne. Si l’audience rit car la personne aimait rire ou si l’audience trinque car la personne aimait trinquer, ce n’est pas un sacrilège, c’est le signe d’un rituel réussi.»

Mais encore: S’il y a bien une fête funéraire qui déborde de vie, c’est la tradition mexicaine du Dia de los Muertos, trois jours durant lesquels les âmes des défunts reviennent danser sur leurs tombes. Le 2 novembre, à la chapelle du cimetière des Rois, la ville de Genève convie enfants et adultes à célébrer ce jour de 16h à 22h, entre animations, buffet et concert de mariachis.

On peut décorer les funérarium­s et crématoriu­ms aux couleurs du défunt

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(ROGER BAMBER/ALAMY STOCK PHOTO) Certains cercueils peuvent être customisés.

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